Cour administrative d’ appel - 29 novembre 2007
la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 9901500, 0301000 du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 29 décembre 2005 en tant que, saisi de requêtes tendant à annuler la décision implicite par laquelle le préfet des Ardennes a rejeté sa demande du 9 juin 1999 tendant à ce qu’ il précise l’ étendue de son droit d’ eau fondé en titre ainsi que la décision du 4 avril 2003 dudit préfet refusant de reconnaître le droit d’ eau fondé en titre de son usine hydroélectrique, il a limité la consistance légale de ce droit d’ eau à la puissance hydraulique brute résultant d’ une hauteur de chute de 1,30 m et d’ un débit d’ eau dans le canal d’ amenée à ses installations de 4 600 litres d’ eau à la seconde et décidé que le surcroît de hauteur de chute et le surcroît de débit dérivé dans le canal d’ amenée actuel sont soumis au régime général de l’ énergie hydraulique défini par la loi du 16 octobre 1919 modifiée ;
2°) de décider qu’ elle a droit à titre perpétuel à toute l’ eau de la Meuse nécessaire au fonctionnement de ses installations de production d’ énergie électrique et pouvant être captée par le biais du canal Mazarin et qu’ elle n’ est ainsi pas soumise au régime général de l’ utilisation de l’ énergie hydraulique défini par les titres I et V de la loi du 16 octobre 1919 ;
3°) de mettre à la charge de l’ Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
que l’ usine hydroélectrique reconstruite en 1898 par M. -Bayard à la place d’ anciens moulins à grain dits « Moulins de Mézières » existant depuis au moins le XIème siècle, avait une existence antérieure à l’ Edit de Moulins du 15 février 1566 et était par voie de conséquence fondée en titre par application des dispositions de l’ article 23 du code du domaine public fluvial ;
que le tribunal a fait une appréciation inexacte des éléments de la cause en estimant que le préfet des Ardennes avait apporté la preuve de la modification des ouvrages essentiels qui déterminent la puissance hydraulique théorique de la chute d’ eau, contrairement aux appréciations de l’ expert, et qu’ il y avait lieu de déterminer la consistance du droit fondé en titre comme portant sur la puissance hydraulique brute estimée à partir des expertises et données anciennes rappelées dans le rapport de l’ ingénieur des Ponts et Chaussées du 30 novembre 1896 ;
qu’ en effet, alors qu’ il convient de tenir compte exclusivement de la force motrice brute et non de la force utile, qui peut augmenter par un simple perfectionnement du mécanisme, la preuve, qui incombe à l’ administration, n’ a jamais été rapportée que la puissance hydraulique ait été augmentée au-delà de la consistance légale par augmentation du débit dérivé ou de la hauteur de chute ;
- qu’ il est au contraire établi que M. -Bayard a seulement aménagé les ouvrages afin d’ obtenir une meilleure utilisation de la force brute mise à sa disposition, la puissance supplémentaire ainsi produite devant dès lors être considérée comme rentrant dans la consistance légale, et que tant la chute d’ eau que le débit étaient autrefois plus importants ;
que les données chiffrées de hauteur de chute et de débit d’ eau retenues par le tribunal ne correspondent pas à la consistance légale de l’ époque, mais au volume d’ eau et à la chute utilisés par les anciens moulins, le tout minoré par rapport à la réalité pour des raisons fiscales ;
qu’ il est donc établi qu’ elle a droit, dans la mesure où elle est fondée en titre et d’ après ses titres qui ne limitent pas le volume d’ eau concédé, à toute l’ eau pouvant être dérivée dans le canal Mazarin et pouvant passer dans ses vannes et n’ est ainsi pas soumise au régime général de l’ énergie hydraulique défini par la loi de 1919 et qu’ elle dispose d’ un droit réel perpétuel d’ occupation du domaine public ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2006, présenté par le ministre de l’ écologie et du développement durable ;
Le ministre conclut au rejet de la requête ;
Il soutient :
que les moyens énoncés par la société requérante ne sont pas fondés ;
que, dès lors que la consistance légale de l’ ancien moulin n’ est pas établie, c’ est à partir des seules données relatives à la hauteur de chute d’ eau et au débit du canal d’ amenée existant en 1816 qu’ il convient de déterminer la consistance légale du droit fondé en titre ;
qu’ une expertise contradictoire fixant à 64 CV la consistance de l’ usine en 1816, un éventuel droit fondé en titre ne pourrait qu’ être limité à une telle puissance ;
que l’ usine a été ensuite rétablie, autorisée par décret présidentiel de 1897, avec une puissance sans rapport avec celle de 1816 ;
que l’ augmentation de la puissance maximale brute constatée en l’ espèce résulte d’ autres facteurs que l’ augmentation du débit dérivé ou de la hauteur de chute, à savoir l’ installation en 1898 de trois pertuis moteurs ;
qu’ il résulte de la jurisprudence du Conseil d’ Etat que de profondes transformations font perdre au droit d’ eau son caractère fondé en titre, obligeant ainsi le pétitionnaire à solliciter une autorisation sans qu’ il y ait lieu de rechercher si, après les travaux, la force hydraulique produite est ou non supérieure à la force antérieurement utilisée ;
que la hauteur de chute, actuellement de 3,12 m, est supérieure à celle de l’ enquête réalisée en 1858 concernant les anciens moulins ;
que, pour pouvoir justifier d’ un droit fondé en titre sur la totalité des eaux de la Meuse, la requérante doit produire des preuves de la situation de son usine actuelle à l’ emplacement même des Moulins de Mézières, qu’ elle n’ apporte pas ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 25 janvier 2007, présenté pour la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN, qui conclut aux mêmes fins que sa requête et soutient en outre que l’ argumentation du ministre méconnaît l’ autorité de chose jugée attachée au jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 octobre 2004 devenu définitif ;
Vu l’ ordonnance du président de la première chambre de la cour, fixant la clôture de l’ instruction au 14 septembre 2007 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure et notamment son article 23 ;
Vu la loi du 16 octobre 1919 modifiée relative à l’ utilisation de l’ énergie hydraulique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’ audience ;
Après avoir entendu au cours de l’ audience publique du 8 novembre 2007 :
- le rapport de M. Vincent, président,
- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’ en vertu de l’ article 18 de la loi du 16 octobre 1919 susvisée, les entreprises hydroélectriques autorisées à la date de promulgation de cette loi doivent, au terme d’ une période de 75 ans, demander le renouvellement de cette autorisation ; que, toutefois, en se prévalant des dispositions de l’ article 29 de ladite loi en vertu desquelles « Les usines ayant une existence légale… ne sont pas soumises aux dispositions des titres I et V de la présente loi… », la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN, venant aux droits d’ un précédent titulaire autorisé par décret du 19 novembre 1897, dont l’ existence est attestée, contrairement à ce que soutient celle-ci, à exploiter une usine hydroélectrique sur le canal de la Meuse à Mézières, dit « canal Mazarin », a demandé au préfet des Ardennes de reconnaître le « droit fondé en titre » de cette usine d’ utiliser la totalité des eaux de la Meuse ;
que, par décision n° 122588 en date du 7 décembre 1998, le Conseil d’ Etat statuant au contentieux a, après avoir annulé un précédent jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et évoqué la demande de la société, rejeté celle-ci en jugeant que ladite société n’ était en tout état de cause pas fondée à solliciter le droit d’ utiliser la totalité des eaux de la Meuse et prétendre ainsi au bénéfice de l’ exemption prévue à l’ article 29 de la loi du 16 octobre 1919 ;
que, se fondant sur cette décision, la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN a demandé au préfet des Ardennes de déterminer l’ étendue des droits qu’ il entendait voir soumettre à autorisation, puis de reconnaître le droit d’ eau fondé en titre de son usine hydroélectrique ;
que, par jugement avant dire droit du 7 octobre 2004 non contesté par l’ administration, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision implicite par laquelle le préfet des Ardennes a rejeté la première demande ainsi que la décision du 4 avril 2003 par laquelle le préfet a refusé de reconnaître, même partiellement, son droit d’ eau fondé en titre ;
que la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN relève appel de la décision du 29 décembre 2005 par laquelle le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé, d’ une part, que la consistance légale du droit d’ eau fondé en titre qu’ elle détient porte sur la puissance hydraulique brute résultant d’ une hauteur de chute de 1,30 m et d’ un débit d’ eau dans le canal d’ amenée à ses installations de 4 600 litres d’ eau à la seconde et, d’ autre part, que le surcroît de hauteur de chute et de débit dérivé dans le canal d’ amenée actuel sont soumis au régime général défini par la loi du 16 octobre 1919 susvisée ;
Considérant que les droits fondés en titre, qui peuvent notamment résulter des droits et concessions régulièrement accordés avant l’ Edit de Moulins de février 1566, ne bénéficient aux exploitants qui s’ en prévalent qu’ à concurrence de la consistance présentée par les installations concernées lors de l’ acquisition du droit historique ;
qu’ un droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’ origine, exception faite de l’ hypothèse où les transformations de l’ ouvrage seraient d’ une ampleur telle qu’ elles feraient perdre à l’ installation son caractère fondé en titre ;
qu’ ainsi, sous réserve de ce qui vient d’ être dit, les modifications apportées à l’ ouvrage auquel ce droit est attaché et ayant pour effet d’ accroître la force motrice disponible n’ ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais seulement de soumettre l’ installation au droit commun de l’ autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice qui excède sa consistance légale ;
que l’ accroissement de la force motrice à prendre en considération doit être apprécié uniquement en fonction de la hauteur de la chute d’ eau et du débit du cours d’ eau ou du canal d’ amenée, sans qu’ il y ait lieu de tenir compte des caractéristiques propres de l’ ouvrage, susceptibles d’ améliorer la puissance utilisée pour une même puissance brute disponible ;
Considérant en premier lieu que s’ il est constant que les anciens moulins de Mézières détruits au cours de la guerre de 1870-1871, étaient fondés en titre, la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN n’ a pu en préciser la consistance légale, déterminée exclusivement à partir de la puissance hydraulique théorique des installations d’ origine, comme il a été dit ci-dessus ;
que si ladite société critique l’ évaluation à 64 chevaux qui en a été faite dans l’ état des installations existant en 1816 par une expertise contradictoire réalisée en 1858 et dont les résultats sont exposés dans un rapport du 30 novembre 1896 de l’ ingénieur des Ponts et Chaussées, et procédant, selon un second rapport du 24 février 1897, de la conjugaison d’ une hauteur de chute de 1,30 mètre et d’ un débit de 4 600 litres à la seconde, le seul fait que la hauteur globale de chute résultant de la différence de niveau entre l’ amont et l’ aval de la Meuse atteindrait 4,34 mètres en vertu d’ un document de 1839 produit par la requérante ne saurait établir que l’ installation d’ origine en ait bénéficié dans son intégralité ;
qu’ ainsi la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN n’ est pas fondée à soutenir que c’ est à tort que les premiers juges ont fixé la consistance légale du droit fondé en titre qu’ elle détenait à la puissance brute découlant de la hauteur de chute et du débit sus-rappelés ;
Considérant, en second lieu, qu’ il résulte de l’ instruction, et notamment des rapports précités de l’ ingénieur des Ponts et Chaussées, que M. , nouveau propriétaire des lieux, entendait établir une usine hydroélectrique à l’ emplacement des anciens moulins, développant une puissance brute de 442 chevaux résultant d’ un débit d’ eau variant de 4,5 m3 à 14 m3 selon la saison et d’ une hauteur moyenne de chute de 3,28 mètres ; qu’ il ressort de documents ultérieurs, et notamment du rapport de l’ ingénieur des Ponts et Chaussées du 3 février 1902, que les travaux envisagés par les rapports précités, d’ ailleurs intitulés « Reconstruction des anciens moulins de Mézières en augmentation de la consistance légale de l’ usine », et propres à permettre la mise à disposition effective de cette hauteur de chute, sans préjudice d’ un approfondissement ultérieur du canal d’ amenée destiné à procurer une hauteur de chute supplémentaire de 1,10 mètre, ont été effectivement réalisés ; que, même si les parties s’ accordent pour estimer que cet ouvrage a été réalisé en 1879 lors de la canalisation de la Meuse et non postérieurement à 1897, l’ expert commis par le jugement avant dire droit susmentionné note par ailleurs que la construction du barrage à l’ aval de la dérivation du canal Mazarin a eu une influence directe sur la production de l’ usine ; que cet ouvrage est en effet propre à assurer un niveau d’ eau et une régularité des apports plus importants et ce alors même, ce qui n’ est au demeurant pas établi, qu’ il aurait conduit à réduire de 4,34 mètres à 3,50 mètres la hauteur de chute d’ eau disponible ; qu’ ainsi, sans qu’ il soit besoin de déterminer l’ incidence éventuelle sur la puissance hydraulique brute de l’ installation des travaux par ailleurs effectués par la ville de Mézières à cette même époque, tant la hauteur de chute que le débit ont été accrus par l’ effet des travaux réalisés par M. ; qu’ il s’ ensuit que, quelles que soient les imperfections dont peut être entaché le calcul de la consistance légale existant en 1816, celle-ci ne peut en tout état de cause qu’ avoir été augmentée du fait des travaux effectués par M. ; que c’ est ainsi également à bon droit, dès lors qu’ il n’ est par ailleurs pas établi que l’ ensemble des travaux réalisés par M. auraient induit de profondes transformations faisant perdre au droit d’ eau son caractère fondé en titre, que le tribunal a jugé que le surcroît de hauteur de chute et de débit dérivé étaient soumis au régime défini par la loi du 16 octobre 1919 ;
Considérant qu’ il résulte de ce qui précède que la requête de la SOCIÉTÉ CENTRALE MAZARIN doit être rejetée ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de ladite société tendant au bénéfice des dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIETE CENTRALE MAZARIN est rejetée.