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Publié : 19 janvier 2013

Le Conseil d’Etat confirme et précise la pérennité du droit fondé en titre

Le 16 janvier 2006, dans un litige impliquant un propriétaire de moulin et une fédération de pêche, le Conseil d’Etat a confirmé que le fait qu’un moulin n’ait pas fonctionné depuis 50 ans ne lui faisait pas perdre son droit fondé en titre, considérant que "si cet ouvrage est partiellement délabré, ses éléments essentiels ne sont pas dans un état de ruine tel qu’il ne soit plus susceptible d’être utilisé par son détenteur". Il ajoute que "la consistance d’un droit fondé en titre est présumée, sauf preuve contraire, conforme à sa consistance actuelle"

Conseil d’État statuant au contentieux
Lecture du 16 janvier 2006

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Considérant que sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d’eau sur des cours d’eaux non domaniaux qui, soit ont fait l’objet d’une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux ; qu’une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date ;

Considérant que la cour administrative d’appel de Bordeaux, si elle a reconnu qu’il existait, avant 1789, un moulin sur la rivière Le Lausset dans la commune d’Araujuzon, a estimé qu’il n’était pas établi que ce moulin soit celui-là même qu’avait acquis M. A ;

qu’il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment de la comparaison entre l’extrait pertinent de la carte de Cassini et les cartes actuelles, qui fait apparaître une localisation identique, qu’il s’agit bien du même moulin ;

que, par suite, M. A est fondé à soutenir que l’arrêt attaqué est entaché de dénaturation des pièces du dossier et à en demander, pour ce motif, l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Considérant que la force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété ;

qu’il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ;

qu’en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ;

Considérant, par suite, que c’est à tort que, pour annuler l’arrêté du 18 septembre 1998 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait reconnu le droit fondé en titre attaché au moulin acquis par M. A, le tribunal administratif de Pau s’est fondé sur la seule circonstance que ce moulin avait cessé de fonctionner depuis cinquante ans ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection de l’environnement du milieu aquatique et par l’Association du gave d’Oloron pour la pêche et la protection du milieu aquatique devant le tribunal administratif de Pau ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des actes produits par l’intéressé, que le moulin situé sur la rivière Le Lausset, dans la commune d’Araujuzon, acquis par M. A, existait avant 1789 ;

que si cet ouvrage est partiellement délabré, ses éléments essentiels ne sont pas dans un état de ruine tel qu’il ne soit plus susceptible d’être utilisé par son détenteur ;

que, dès lors, il doit être regardé comme fondé en titre et qu’ainsi le moyen tiré de ce que son exploitation serait soumise à autorisation selon les règles de droit commun ne peut qu’être écarté ;

Considérant que la consistance d’un droit fondé en titre est présumée, sauf preuve contraire, conforme à sa consistance actuelle ;

que pour déterminer la puissance maximale brute hydraulique dont M. A pouvait disposer sur le fondement de ce droit, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a procédé à un calcul tenant compte de la hauteur de la chute et du débit de la rivière ;

qu’il ne résulte pas de l’instruction que les chiffres retenus par le préfet aient été erronés ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 23 juin 1999, le tribunal administratif de Pau a annulé l’arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques en date du 18 septembre 1998 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection de l’environnement du milieu aquatique et de l’Association du gave d’Oloron pour la pêche et la protection du milieu aquatique le versement de la somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :


Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 23 octobre 2003 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 23 juin 1999 est annulé.

Article 3 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Pau par la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection de l’environnement du milieu aquatique et par l’Association du gave d’Oloron pour la pêche et la protection du milieu aquatique est rejetée.

Article 4 : La Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection de l’environnement du milieu aquatique et l’Association du gave d’Oloron pour la pêche et la protection du milieu aquatique verseront chacune une somme de 1 500 euros à M. A au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre A, à la Fédération des Pyrénées-Atlantiques pour la pêche et la protection de l’environnement du milieu aquatique, à l’Association du gave d’Oloron pour la pêche et la protection du milieu aquatique et au ministre de l’écologie et du développement durable.


Commentaire lu sur http://texteau.ecologie.gouv.fr:

Le Conseil d’Etat, appelé à trancher quant à la persistance d’un droit fondé en titre en dépit du mauvais état relatif des ouvrages qui le matérialisait, réitère l’argumentation déjà développée à l’occasion de son arrêt du 5 juillet 2004, SA LAPRADE ENERGIE (n° 246929, note P. SABLIERE, AJDA 22 novembre 2004, p. 2219). Divergeant par rapport à la doctrine communément admise jusque là qui estimait qu’un droit fondé en titre ne se perdait pas lorsque l’ouvrage était ruiné voire totalement disparu, le Conseil d’Etat considère que la ruine de l’ouvrage ou le changement d’affectation des ouvrages essentiels (chute, bief de dérivation) destinés à utiliser le volume et la pente du cours d’eau (c’est-à-dire ce qui est relatif) au débit dérivé et à la hauteur de chute dont le produit permet de connaître la puissance maximale brute de l’entreprise), sont de nature à entraîner la perte du droit. Par « changement d’affectation », il convient d’entendre l’utilisation à des fins autres qu’énergétiques, comme par exemple l’irrigation, la pisciculture, l’agrément. Dès lors que les éléments essentiels évoqués précédemment demeurent en état de fonctionnement et que l’affectation à des fins énergétiques n’a pas été changée (ainsi un moulin utilisant l’énergie pour moudre du grain peut se transformer en micro-centrale hydroélectrique), peu importe que ces ouvrages essentiels n’aient pas été utilisés pendant une longue période ou que le bâtiment attaché au droit d’eau soit délabré.

Dans le même arrêt, il est rappelé que la consistance d’un droit fondé en titre est présumée - sauf preuve contraire - conforme à sa consistance actuelle, c’est-à-dire que s’il incombe au titulaire du droit d’apporter la preuve matérielle de son existence, l’administration aura à démontrer les changements qui auraient pu être apportés aux ouvrages et qui seraient de nature à modifier la consistance légale du droit.