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Publié : 24 janvier 2013

Travaux dans un bief et affaissement d’une route. (jan 2008)

Cour d’ appel de Nancy 15 janvier 2008

le tribunal a rappelé que Monsieur X... est propriétaire du canal d’ amenée et du bief au niveau duquel s’ est produit le sinistre ainsi que des francs bords, que c’ est à son initiative qu’ ont été effectués les travaux de terrassement litigieux en décembre 1987, destinés à l’ exploitation d’ une centrale hydroélectrique, que lesdits travaux constituent une des deux causes de désordres subis par la route 38 A, que l’ exploitant de la centrale hydroélectrique de MONTBLAINVILLE est également mis en cause par le rapport d’ expertise relativement à l’ abaissement du niveau d’ eau du bief en octobre 1998, que la SECAM ne justifie par aucune pièce de ce qu’ elle n’ était pas exploitante de la centrale à cette période.

Sur la cause des désordres et l’ action en responsabilité, le tribunal, après avoir rappelé les dispositions des articles 544, 1382 et 1383 du Code Civil, a retenu que les désordres ont pour origine, selon les conclusions claires et circonstanciées de l’ expert, d’ une part les travaux de terrassement du canal, débutés en décembre 1987 à l’ initiative de Monsieur René X..., propriétaire, qui ont affaibli la stabilité des matériaux situés entre la RD 38 A et le bief du canal usinier et d’ autre part, l’ abaissement du niveau d’ eau dans le bief lors d’ une période de crue de l’ AIRE, initiative de la SECAM, exploitant de la centrale hydroélectrique de MONTBLAINVILLE.

Répondant aux allégations des défendeurs, les premiers juges ont précisé que l’ expert a répondu à leurs dires et notamment à ceux portant sur l’ aspect géologique des lieux, que les conclusions aux termes desquelles il ne retient que deux causes déterminantes des désordres constatés sont cohérentes.

S’ agissant de la condamnation prononcée à l’ encontre de la société FEE, les appelants dénoncent l’ absence totale de motivation du tribunal sur ce point et sollicitent l’ annulation de la décision la concernant. Ils ajoutent qu’ en tout état de cause, le département de la Meuse échoue dans l’ administration de la preuve qui lui incombe et qu’ il n’ existe aucun grief à l’ encontre de la SFEE.

Sur la responsabilité de Monsieur X... et de la SECAM, les appelants précisent que les travaux entrepris par Monsieur X... n’ étaient que des travaux de nettoyage et de curage du canal d’ amenée d’ eau, qui ont été entrepris en 1987, soit plus de 10 ans avant l’ effondrement constaté le 31 octobre 1998 après de fortes pluies, que le fait de curer un canal d’ amenée d’ eau ne peut être constitutif d’ un trouble anormal de voisinage.

Ils soutiennent que parmi les causes retenues par l’ expert comme étant à l’ origine des désordres, certaines sont inhérentes au site. Ils reprochent à l’ expert judiciaire de n’ avoir pas apprécié sérieusement les différentes causes retenues et d’ avoir perdu de vue les conditions de création de la RD 38, rappelant que le canal litigieux, qui existe depuis plusieurs siècles, se trouve au pied d’ une colline dont la pente est très accentuée, qu’ au cours de la première guerre mondiale, l’ armée allemande a entaillé le pied de cette colline pour y installer une voie de chemin de fer, destinée à des wagonnets, qu’ après la guerre, le chemin ainsi créé a été classé chemin vicinal, que la transformation de ce chemin en route départementale n’ a pas été accompagné de travaux qui auraient permis d’ en assurer la stabilité parfaite. Ils ajoutent que le remblai créé lors de la création de la voie par les allemands est constitué de matériaux argileux peu consistants, posé sur un support marno-calcaire à forte pente orientée vers le bief.

Ils font ainsi valoir que les dommages résultent de l’ état naturel des lieux et de la conception sommaire de la route départementale qui supporte des engins de fort tonnage, sans que le département de la Meuse se soit préoccupé de la stabilisation du sol et du sous-sol.

Ils soulignent qu’ après l’ effondrement litigieux, la DDE a fait creuser la chaussée pour rechercher le sol stabilisé et donner une assise à la chaussée.

Les appelants font encore valoir que le rapport d’ expertise n’ établit aucun lien de causalité entre les travaux réalisés par Monsieur X..., l’ abaissement du niveau d’ eau dans le bief lors d’ une crue de l’ AIRE et l’ affaissement du 31 octobre 1998 survenu après de fortes pluies.

Ils mettent en cause l’ impartialité de l’ expert, qui est en poste à la DDE de Meurthe et Moselle, précise qu’ une plainte a été déposée à l’ encontre du Conseil Général par Monsieur X..., relative à la mise en place d’ une glissière de sécurité et aux dépôts de terre sur son terrain.

Dans ses dernières écritures signifiées et déposées le 24 janvier 2007, le Département de la Meuse, représenté par Monsieur Le Président du Conseil Général de la Meuse, a conclu à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation des appelants à lui payer la somme de 2. 000 € ainsi qu’ aux dépens.

L’ intimé souligne que la société FEE a fait l’ objet d’ une assignation régulière aux fins d’ obtenir sa condamnation sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil et conclut à l’ irrecevabilité et au caractère non avenu de l’ appel de FEE motivé exclusivement au visa de l’ article 5 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il ajoute que si le tribunal n’ a pas statué sur la recevabilité de la demande à l’ encontre de la société FEE, il n’ a pas statué ultra petita alors que l’ assignation démontre une demande précise du département et donc la saisine du juge. Il souligne que dans la mesure où cette société a revendiqué sa qualité d’ exploitante en intervenant volontairement à l’ instance en référé, elle ne peut se plaindre d’ avoir fait l’ objet d’ une procédure abusive.

L’ intimé précise que son action repose sur la théorie du trouble anormal de voisinage qui institue une présomption de responsabilité, sans faute, que cette responsabilité concerne aussi les dommages accidentels tels l’ affaissement de la RD 38 du 31 octobre 1998.

Il maintient que la responsabilité des désordres subis par la RD 38 incombe aux appelants, ainsi que l’ a clairement exprimé l’ expert. Il précise que les travaux entrepris par Monsieur X... ont outrepassé un simple curage dès lors que le bief a été élargi, approfondi, la hauteur de chute augmentant de plus de moitié, et ce en infraction avec la police des eaux, qu’ immédiatement après ces travaux de recalibrage du canal ayant attaqué le bas du remblai de la route, des affaissements s’ étaient produits ainsi que des glissements de terrain, l’ expert relevant que ces troubles étaient les premiers connus par ce remblai. Il ajoute que ces désordres ont été traités par la construction d’ un mur, financé par l’ assureur de Monsieur X... qui avait alors reconnu sa responsabilité.

L’ intimé précise que chaque proposition adverse a fait l’ objet d’ un examen minutieux par l’ expert et d’ une discussion sérieuse, que Monsieur Y... a notamment relevé que l’ existence de tranchées allemandes coupant la RD 38 A n’ avait pas été démontrée, que s’ agissant de la présence de remblai imprégné d’ eau, l’ expert a retenu qu’ il n’ était pas possible de retenir l’ existence de condition de teneur en eau défavorable du chef de l’ ouvrage en cause, que les sondages réalisés le 17 décembre 1999 n’ ont pas fait apparaître de circulation d’ eau venant du coteau et que l’ expert en a conclu que la présence d’ eau dans la zone comprise entre le pied du coteau et le bief était en lien direct et unique avec le niveau d’ eau du bief, qu’ ainsi la thèse adverse selon laquelle les dommages résulteraient de l’ état naturel des lieux et de la conception originaire de la route est formellement démentie par l’ examen des sols et la prise en compte des travaux adverses.

L’ intimé maintient que l’ abaissement du niveau de l’ eau dans le bief a été opéré du fait des travaux de creusement adverse, observe que le rôle de l’ automate dans la régulation du niveau de l’ eau, revendiqué par les appelants, n’ est pas démontré, que au contraire, il est établi par le procès-verbal de constatation du 31 octobre 1998 de Monsieur A... que le niveau de l’ eau du canal usinier était de un mètre en dessous du niveau supérieur de la berge droite, reconnu comme étant le niveau habituel et normal, qu’ en baissant ainsi le niveau de l’ eau dans le bief, le bas du remblai a été asséché, provoquant le mouvement du terrain.

Le département souligne par ailleurs que l’ argument tiré d’ une surcharge de la circulation sur la route est inopérant, la route ayant été coupée pour cause d’ inondation au moment du sinistre.

Il fait valoir que Monsieur Y... a mené une expertise détaillée, répondant aux dires des appelants, qu’ il en a dégagé une analyse précise, fondée sur des éléments matériels incontestables et une approche technique sérieuse. Il ajoute que l’ expert, certes agent de la DDE de Meurthe et Moselle, n’ a jamais eu à connaître de la route litigieuse, qu’ il ne peut être suspecté de partialité.

S’ agissant de la glissière de sécurité, l’ intimé précise que son implantation a été faite sur l’ emprise du domaine public et qu’ elle a été imposée par la nécessité absolue d’ interdire toute circulation sur l’ accotement, compte-tenu des risques d’ effondrement liés aux travaux de Monsieur X..., pour assurer la sécurité des usagers compte-tenu de la présence du canal.

La procédure a été clôturée suivant ordonnance du 11 mai 2007.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les appelants sollicitent l’ annulation du jugement querellé s’ agissant de la condamnation de la société FEE, pour défaut de motivation.

Aux termes de l’ article 455 du nouveau code de procédure civile, le jugement doit être motivé.

En l’ espèce, l’ absence de motivation alléguée par les absents concerne uniquement la condamnation prononcée à l’ encontre de la société FEE. Il convient de relever que s’ agissant des autres parties, le jugement est motivé, que s’ agissant de FEE, le tribunal a relevé que cette société était spontanément intervenue à l’ instance, revendiquant sa qualité d’ exploitant de la centrale hydro-électrique, que le moyen relatif à l’ absence de motivation du jugement n’ est dès lors pas pertinent et ne pourra qu’ être rejeté.

Les appelants contestent également le rapport d’ expertise de Monsieur Y..., lui reprochant son absence d’ impartialité, du seul fait que l’ expert serait employé à la DDE de Meurthe et Moselle.

Il sera souligné que Monsieur Y... est expert judiciaire, inscrit sur la liste des experts près la Cour d’ Appel de NANCY, que le seul fait qu’ il appartienne à l’ administration de l’ Equipement de Meurthe et Moselle est insuffisant pour émettre des doutes sur son impartialité, qu’ il n’ est établi par aucune pièce qu’ il ait eu à connaître du litige opposant les appelants au Conseil Général de la Meuse pas plus que du glissement de terrain litigieux, que rien dans le rapport d’ expertise, au demeurant particulièrement détaillé et fouillé et conforme à la mission qui lui a été confié, ne permet de mettre en doute l’ impartialité de l’ expert. Il sera en outre relevé que les appelants, bien qu’ invoquant les dispositions de l’ article 237 du nouveau code de procédure civile, ne soulèvent pas la nullité du rapport d’ expertise.

Au fond, le département de la Meuse invoque, au soutien de ses prétentions, les dispositions des articles 544, 1382 et 1383 du Code Civil.

Il est établi et non contesté que Monsieur X... est propriétaire du canal d’ amenée, qui longe la route départementale 38 A sur laquelle s’ est produit un affaissement de la chaussée le 31 octobre 1998 ainsi que du bief et des francs bords.

En application de l’ article 544 du Code Civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinage, il encourt une responsabilité de plein droit, sans qu’ il soit nécessaire d’ établir à son encontre une faute.

En l’ espèce, il résulte du rapport d’ expertise de Monsieur Y..., lequel a répondu avec précision et clarté à l’ ensemble des dires qui lui ont été transmis par les appelants, que l’ affaissement de la chaussée survenu le 31 octobre 1998, est dû d’ une part aux travaux de terrassement qui ont affaibli la stabilité des matériaux situés entre la RD 38 A et le bief du canal usinier, travaux réalisés à l’ initiative de Monsieur X... et d’ autre part à un abaissement du niveau d’ eau dans le bief lors d’ une période de crue de L’ AIRE.

L’ expert a souligné que les dommages ont été provoqués par un glissement du talus compris entre la Route et le bief situé en contrebas, que l’ étude réalisée par le CEBTP a mis en évidence la présence d’ un matériau argileux peu consistant sur une épaisseur allant de 3 à 5 mètres, que ce matériau, dont la présence a été constatée lors de la réalisation de tranchées pendant la réunion du 17 décembre 1999, repose sur des marno-calcaires compacts constitués par une alternance de bancs calcaires et marneux, que le rapport met en évidence :

- qu’ en cas de vidange du bief, la stabilité devient critique,

- que le talus dans son état actuel n’ est pas stable (55 o environ),

- qu’ il semble qu’ il se soit produit un glissement de l’ ensemble des sols fins argileux peu consistants sur les premiers bancs calcaires de la formation sous-jacente.

Contrairement aux allégations des appelants, Monsieur Y... a souligné, parmi les causes des dommages, les phénomènes géologiques inhérents au site (présence de matériaux argileux, pente du support marno-calcaire, nappe dans les matériaux argileux).

Il a retenu comme causes déterminantes des dommages, l’ enlèvement de matériaux du bord du bief, qui a affaibli la stabilité des terrains, et l’ abaissement du niveau d’ eau du bief qui a déclenché le glissement en déplaçant vers le bas la nappe présente dans les matériaux argileux.

S’ agissant des travaux du canal entrepris par Monsieur X... en 1988, celui-ci soutient qu’ il s’ agissait uniquement de travaux de curage du canal. Il résulte cependant de l’ analyse des pièces soumises à l’ expert (P 39 à 42 du rapport) que ces travaux ont consisté non seulement dans le curage du canal mais aussi et surtout dans son recalibrage, soit un élargissement et un approfondissement de la section du canal, avec retalutage des berges.

Il convient d’ observer que ces travaux, selon l’ avis conforme de l’ ensemble des administrations intervenues à cette époque, ont compromis la stabilité des berges, qu’ un effondrement du talus et de l’ accotement gauche de la route s’ était déjà produit en mars 1988.

Il est dès lors justifié de ce que les travaux entrepris en 1988 par Monsieur X... pour curer et recalibrer le canal usinier de la micro centrale de MONTBLAINVILLE ont eu des conséquences sur la stabilité des terrains, qu’ en sa qualité de propriétaire riverain du lieu du dommage, et en application de l’ article 544 du Code Civil, Monsieur X... doit être déclaré responsable des dommages subis par la RD 38 A le 31 octobre 1998 et condamné à indemniser le département de la Meuse.

S’ agissant de l’ abaissement du niveau d’ eau du bief en octobre 1998, il résulte du procès-verbal de constatation établi le 31 octobre 1998 par Monsieur A..., subdivisionnaire à la subdivision de l’ Equipement de STENAY, que “ le niveau de l’ eau du canal usinier est 1, 00 mètre au-dessous du niveau supérieur de la berge droite dudit canal reconnu comme étant le niveau habituel et normal “.

Cependant, il ressort du rapport établi le 10 novembre 1998 par Monsieur A... que l’ arrêté préfectoral autorisant l’ exploitation ne fait référence qu’ à une cote d’ eau maximale à ne pas dépasser et ne fixe pas de cote minimale à maintenir.

Il apparaît dès lors qu’ à défaut d’ établir une faute à l’ encontre de la SECAM, qui ne conteste pas sa qualité d’ exploitante de la centrale hydroélectrique de MONTBLAINVILLE, et dont la responsabilité ne peut être recherchée que sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil, l’ intimé ne pourra qu’ être débouté de ses prétentions dirigées à l’ encontre de cette société.

La société FEE sera mise hors de cause, sa qualité d’ exploitante de la Centrale hydroélectrique de MONTBLAINVILLE n’ étant pas établie. Cependant, il n’ y aura lieu à lui allouer des dommages-intérêts pour procédure abusive, dès lors qu’ elle est intervenue volontairement en première instance, revendiquant la qualité d’ exploitante de l’ usine hydraulique.

Le jugement du Tribunal de Grande Instance de BAR LE DUC en date du 9 janvier 2003 sera infirmé, sauf en ce qu’ il a dit l’ action du département de la Meuse à l’ encontre de Monsieur René X... et de la SECAM recevable.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant en audience publique et contradictoirement,

Dit n’ y avoir lieu à annuler le jugement querellé ;

Rejette le moyen tiré du non respect par l’ expert de l’ article 237 du nouveau code de procédure civile ;

Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de BAR LE DUC en date du 9 janvier 2003 uniquement en ce qu’ il a dit l’ action du département de la Meuse à l’ encontre de Monsieur René X... et de la SECAM recevable ;

L’ infirme pour le surplus de ses dispositions ;

Déclare Monsieur René X... seul responsable des désordres occasionnés à la route départementale 38 A ;

Le condamne à payer au Département de la Meuse la somme de QUARANTE SEPT MILLE QUATRE CENT VINGT ET UN EUROS ET TRENTE QUATRE CENTIMES (47. 421, 34 €) à titre de dommages-intérêts ;

Déboute le Département de la Meuse de ses prétentions dirigées contre la SECAM ;

Met la société FEE hors de cause ;

La déboute de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Dit n’ y avoir lieu à application des dispositions de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne Monsieur René X... aux dépens d’ instance et d’ appel et autorise la SCP MILLOT LOGIER FONTAINE, avouées associées, à faire application des dispositions de l’ article 699 du nouveau code de procédure civile en ce qui concerne les dépens d’ appel ;

L’ arrêt a été prononcé à l’ audience publique du quinze Janvier deux mille huit par Monsieur DORY, Président de la première chambre civile de la Cour d’ Appel de NANCY, conformément à l’ article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile, assisté de Mademoiselle CHOUIEB, Greffier.

Et Monsieur le Président a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Verdun du 9 janvier 2003