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Publié : 8 février 2013

Le préfet ne peut classer un moulin en "zone à risque" que si le risque est établi ( 2007 )

Cour Administrative d’Appel de Marseille, Lecture du 8 février 2007

- Vu les observations de Me Tribolo, substituant la SELARL Barneoud-Guy-Lecoyer-Millias et associés, pour les consorts X ;

Considérant que la MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE relève appel du jugement susvisé en date du 1er décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a, à la demande de M. et Mme X, annulé l’arrêté en date du 2 septembre 2003 par lequel le préfet des Hautes-Alpes a approuvé le plan de prévention des risques naturels prévisibles de la commune d’Embrun en tant qu’il classe la propriété des intéressés en zone rouge, ensemble la décision de rejet de leur recours gracieux ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 562-1 du code de l’environnement issu de la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 modifiée par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 :
« I. - L’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. II. - Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin :
1° De délimiter les zones exposées aux risques en tenant compte de la nature et de l’intensité du risque encouru, d’y interdire tout type de construction, d’ouvrage, d’aménagement ou d’exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ;
2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d’interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° ;
3° De définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ;
4° De définir, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, les mesures relatives à l’aménagement, l’utilisation ou l’exploitation des constructions, des ouvrages, des espaces mis en culture ou plantés existants à la date de l’approbation du plan qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants ou utilisateurs. ( ) » ;

que, selon l’article L. 562-3 du même code : « Après enquête publique, et après avis des conseils municipaux des communes sur le territoire desquelles il doit s’appliquer, le plan de prévention des risques naturels prévisibles est approuvé par arrêté préfectoral » et
qu’aux termes de l’article L. 562-4 dudit code : « Le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d’utilité publique. Il est annexé au plan local d’urbanisme, conformément à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme » ;

qu’aux termes de l’article 3 du décret susvisé du 5 octobre 1995 : « Le projet de plan comprend : / 1° Une note de présentation indiquant le secteur géographique concerné, la nature des phénomènes naturels pris en compte et leurs conséquences possibles compte tenu de l’état des connaissances ; / 2° Un ou plusieurs documents graphiques délimitant les zones mentionnées aux 1° et 2° de l’article 40-1 de la loi du 22 juillet 1987 susvisée ; / 3° Un règlement précisant en tant que de besoin : / - les mesures d’interdiction et les prescriptions applicables dans chacune de ces zones en vertu du 1° et du 2° de l’article 40-1 de la loi du 22 juillet 1987 susvisée ; ( ) » ;

Considérant que M. X et Mme X, sa mère, placée en curatelle, sont propriétaires indivis d’un tènement immobilier, cadastré section AE, n° 39, 40, 152 et 158, situé Route de Chalvet au lieu-dit le Moulin, sur le territoire de la commune d’Embrun, dont une partie, comportant un ancien moulin à usage d’habitation construit aux alentours de 1850, située aux abords du torrent de la Charance, a été classée en zone rouge R6 par le plan de prévention des risques approuvé par l’arrêté préfectoral en litige du 2 septembre 2003 ;

que le règlement du plan en cause indique, concernant cette zone, que les aléas existants dans le secteur du torrent de Charance sont, d’une part, un risque de crue torrentielle ( écoulements rapides et charriage important ; risque d’embâcles) et, d’autre part, un risque de glissement des berges ( pentes fortes et affouillement par le torrent) ;

que, dans la zone en cause, le règlement dispose, au titre des occupations et utilisations des sols : « Toute occupation et utilisation du sol, de quelque nature qu’elles soient, sont interdites, à l’exception de celles décrites ci-après, sous réserve des autres réglementations en vigueur, et à condition qu’elles n’aggravent pas les risques, n’en provoquent pas de nouveaux et ne présentent qu’une vulnérabilité restreinte et qu’elles prennent en compte les caractéristiques physiques des phénomènes.

les équipements nécessaires au fonctionnement des activités de service public,

Tous travaux et aménagements de nature à réduire les risques,

La traversée par des pistes, chemins ou routes. » ;

Considérant, en premier lieu, qu’il a été expressément admis en première instance par le préfet et qu’il n’est pas contesté en appel par la MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE que, comme l’ont relevé les premiers juges, la propriété concernée de M. et Mme X est située sur un rocher de schiste insusceptible de faire l’objet d’un affouillement par le torrent ;

qu’ainsi, il est constant que la propriété en cause n’est pas soumise à l’aléa de glissement des berges pouvant justifier son classement en zone rouge R6 ;

Considérant, en deuxième lieu, que les services de l’Etat justifient ledit classement par la circonstance que le moulin de M. et Mme X, situé à proximité immédiate du torrent de Charance, torrent de montagne soumis à un risque de crue torrentielle, et au débouché de ce thalweg très encaissé, serait exposé à un phénomène de débordement par les embâcles et débâcles ;

Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que la note de présentation annexée au plan en litige ne mentionne pas d’aléas de référence concernant le torrent de Charance et se borne à préciser que le torrent en cause est encaissé dans une ravine abrupte ;

que, pas plus en première instance qu’en appel, l’administration n’a indiqué les évènements historiques démontrant que ce torrent aurait subi, au cours des années antérieures à l’élaboration du plan critiqué, des débordements du fait notamment de crues torrentielles et de la présence d’embâcles ;

que si l’administration fait valoir que le débit de ce torrent serait de 6,5 m3/s dans l’hypothèse d’une crue centennale et de 2,5m3/s dans l’hypothèse d’une crue décennale, elle n’a versé au dossier aucun document de nature à établir les chiffres ainsi avancés ;

qu’il est, en outre, expressément admis par l’administration que le torrent de Charance draine un bassin versant réduit de 3 km² et comporte un linéaire et une pente peu importants alors qu’elle n’a pas démenti les affirmations formulées par M. X en première instance selon lesquelles ce torrent ne recevrait que des écoulements réduits en provenance des autres ruisseaux ;

que, pour sa part, M. X fait valoir, sans être démenti, que, lors de la crue qui a affecté le 13 janvier 2004 ce torrent, ce dernier n’a pas fait l’objet d’un débordement sur sa propriété, dont il est constant qu’elle est située à une hauteur de 3,75 m au-dessus du lit du torrent ;

que si l’administration soutient qu’il n’est pas établi que cette crue puisse tenir lieu de crue de référence, elle n’a, pour sa part, comme il a été dit ci-dessus, fait état d’aucune autre crue ayant affecté le torrent en cause ;

que, dans ces conditions, la seule circonstance que le torrent de Charance est un ruisseau de montagne soumis, du fait du climat à l’influence méditerranéenne caractérisant la commune d’Embrun, à des crues importantes et violentes, n’est pas à elle seule de nature à démontrer que la situation de proximité de la propriété concernée de M. X avec ce torrent l’exposait à un risque de débordement ;

Considérant, d’autre part, que l’administration n’a versé au dossier aucun document de nature à établir que l’écoulement de ce torrent pourrait être compromis, en cas de crue torrentielle, par la présence de bois et de végétaux qui encombrent son lit ;

que, si les documents photographiques versés au dossier par M. X auxquels se réfère l’administration, montrent la présence de tels obstacles, M. X affirme, sans être ultérieurement contredit, que les photographies en cause concernent des zones situées en aval de sa propriété et non en amont ;

que s’il ressort, en revanche des pièces du dossier, que la propriété de M. et Mme X comporte en aval une passerelle communale, surplombant le torrent de Charance dont l’amplitude est réduite à cet endroit par la présence d’une conduite, il résulte également des pièces du dossier, et notamment des documents photographiques versés au dossier par M. X que le tablier de ladite passerelle se situe à une hauteur de 1,60 m et non 1,20 m comme le soutient, sans l’établir, l’administration, et que, lors de la crue du 13 janvier 2004, ladite passerelle n’a pas fait l’objet d’un débordement ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, comme l’ont à bon droit estimé les premiers juges, qui ne se sont pas mépris sur l’application des dispositions sus-rappelées de l’article L. 562-1 du code de l’environnement, que le risque allégué par l’administration pour justifier le classement de la partie concernée de la propriété de M. et Mme X en zone R6 n’était pas établi ;
que, c’est à juste titre, qu’au vu des éléments ci-dessus rappelés, les premiers juges ont estimé que le classement dans ladite zone, qui avait pour effet d’interdire pour la partie de la propriété concernée, toute construction, y compris les travaux d’aménagement de la construction existant avant la publication du plan en litige, était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant, enfin, que les premiers juges ont relevé, « au surplus », que le règlement du plan en litige ne comportait pas de dispositions relatives aux travaux portant sur les constructions implantées avant l’entrée en vigueur du plan ;

qu’il résulte de cette mention que les premiers juges n’ont pas fondé leur jugement sur cette dernière circonstance ;

que, par suite, les moyens invoqués par la MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE à l’encontre de cette mention sont sans influence sur le bien fondé de l’annulation prononcée par les premiers juges sur le motif tiré de l’erreur manifeste d’appréciation commise par l’autorité administrative ;

que, par suite, ces moyens sont inopérants et doivent, dès lors, être écartés ;

Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que la MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 1er décembre 2005, le Tribunal administratif de Marseille a annulé partiellement l’arrêté préfectoral susvisé ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours de la MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE est rejeté.

Article 2 : L’Etat ( ministre de l’écologie et du développement durable) versera à M. X une somme de 1.500 euros ( mille cinq cents euros ) sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à La MINISTRE DE L’ECOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE et à M. et Mme X.