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Publié : 12 février 2013

Un préfet peut suspendre le contrat EDF d’un usinier qui transforme la consistance légale et crée un danger (2004 )

Cour Administrative d’Appel de Marseille
Lecture du 9 avril 2004
Vu, enregistrée le 29 juillet 1999 au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille sous le n° 99MA01428, la requête présentée par Maître Lucien Grandjean, avocat, pour la SARL SATEN dont le siège est 192, rue des Amandiers à Saint-Clément de Rivière (34980) représentée par sa gérante en exercice ;

La société demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement n° 92 03267 - 94 01007 en date du 23 juin 1999 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier a, d’une part, considéré que ses conclusions indemnitaires dirigées contre la Société BCEOM étaient portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et, d’autre part, rejeté ses conclusions tendant à l’annulation des décisions du préfet de l’Hérault datées des 18 novembre 1991 et 15 juillet 1992 prononçant la suspension du contrat d’achat par EDF de l’énergie produite pour la micro centrale exploitée sur le fleuve Hérault au lieudit le Seuil de Carabotte ainsi que des conclusions indemnitaires subséquentes dirigées contre l’Etat ;

2°/ de condamner in solidum l’Etat et le BCEOM à lui verser une somme de 237.781,86 F en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi en raison des travaux inutiles qui lui ont été imposés et une somme de 10.000 F sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

3°/ d’ordonner une expertise à fin d’évaluer le préjudice qui serait né d’une perte d’exploitation imputable aux décisions préfectorales ;

Elle fait valoir :

- qu’elle est titulaire de : droits fondés en titre , rachetés à M. X reconnus comme valides par l’administration le 6 mars 1989 ;

- qu’elle a obtenu un permis de construire lui permettant de construire le barrage préexistant, lequel a partiellement été affecté par une nouvelle crue ;

- que malgré son engagement de réaliser les travaux de réparation nécessaires, le préfet donnait l’ordre à EDF de découpler la centrale du réseau électrique, sanction levée en décembre 1991 sous réserve de la réalisation des travaux nécessaires ;

- que suite à une nouvelle crue de l’Hérault qui emportait une partie du nouveau barrage, le préfet prononçait un nouveau découplement du réseau le 15 juillet 1992 ;

- que les premiers juges ont entaché leur décision d’erreur de fait dès lors qu’ils se fondent sur un moyen soulevé par l’Etat sept ans après l’introduction du premier recours ;

- que la circonstance que la modification de la hauteur de la chute d’eau résulte d’excavations pratiquées en aval dans le lit du fleuve est sans conséquence sur la nature de l’exploitation ;

- que pour faire application de l’article 8 bis de la loi du 8 avril 1946, l’Etat a procédé à une analyse erronée de la situation dès lors que les droits fondés en titre ne peuvent être caractérisés que par l’emplacement de l’ouvrage et par la puissance installée elle-même fonction de la hauteur de la chute et le débit dérivé :

* Sur le premier point, le nouvel ouvrage n’a été construit que pour partie sur le tracé de l’ancien pour tenir compte du lit de la rivière ;

* Sur le second point, il est manifeste que des installations réalisées à un siècle de distance ont des rendements énergétiques différents ;

- qu’aucune décision de l’administration n’a retiré ou abrogé les droits détenus ;

- que le permis de construire obtenu entre-temps n’a pu être délivré qu’à la faveur du dossier en reconnaissance de droits déposés par M. X, vendeurs de ces derniers à la SATEM et alors même que ce dernier n’a pas été appelé à la cause ;

- que le BCEOM exécutait un travail public au profit de l’administration et il est à l’origine d’injonctions dommageables car inutiles et inappropriées ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 11 avril 2000 au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille, le mémoire en défense présenté par le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, lequel conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir :

- que les droits revendiqués par la SARL SATEN à M. X ont été contestés par l’administration avant la réalisation d’un nouveau barrage ;

- qu’aucune des obligations à la charge de la société pour un raccordement conforme de la micro centrale de la société au réseau EDF n’a été remplie par cette dernière ;

- que la société n’a jamais pu établir formellement les droits qu’elle revendique ;

- que la transformation substantielle de la consistance légale de l’installation s’oppose à ce que l’intéressée revendique des droits fondés en titre accordé pour une simple prise d’eau en 1851 ;

- que le nouveau barrage ne suit pas le tracé de l’ancien et cela suffit à déclencher une procédure d’autorisation nouvelle en vertu des articles 1er et 8 bis de la loi du 16 octobre 1919 ;

- que l’administration était tenue de mettre en oeuvre les dispositions de l’article 103 du code rural en raison de la dangerosité des travaux réalisés ;

- que la prétendue reconnaissance des droits invoqués par la société ne constitue en réalité qu’une réponse administrative d’attente qui ne préjugeait en rien de l’analyse finale négative fondée quant à elle sur les documents produits bien ultérieurement par la société ;

- que l’administration n’a jamais mandaté le BCEOM qui détenait un contrat de droit privé avec le gérant majoritaire de la société requérante ;

- que l’installation en cause étant de nature privée et les travaux réalisés n’étant pas de nature publique, l’Etat n’est en rien responsable des propres carence de la SARL SATEN ;

Vu, enregistré le 6 juillet 2000 au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille, le mémoire par lequel la SARL SATEN conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens ; la société indique également :

- que les titulaires de droits fondés en titre peuvent, sur le fondement de l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919, disposer de l’énergie hydraulique qu’à consistance légale constante et sans modification entraînant un supplément de force motrice ;

- que l’administration n’apporte pas la preuve de l’inexistence des droits revendiqués ;

- que le régime de concession et d’autorisation mis en place en 1919 ne concerne pas les installations antérieures à cette date ;

- que seuls les remaniements substantiels d’installation sont de nature à déclencher la procédure d’autorisation car, en l’espèce, la différence d’installation est modeste ;

- que le contrat passé entre le BCEOM et le propriétaire de la micro centrale de Carabotte doit être regardé comme au contrat administratif car il a servi à l’administration à asseoir la décision querellée ;

- que dès lors que les travaux imposés ont été réalisés, le maintien de la décision préfectorale du 15 juillet 1992 constitue un détournement de pouvoir ;

- que le jugement du 23 juin 1999 est irrégulier dès lors qu’il joint deux demandes sans rapport de connexité, qu’il intervient en l’absence de toute preuve factuelle, qu’aucune expertise n’a été diligentée et qu’il statue ultra petita sur la question de la consistance légale de l’installation hydraulique ;

- que le droit à indemnisation du BCEOM ressort à la qualité de mandataire de celui-ci par l’Etat ;

...
Considérant qu’il ressort des pièces et des écritures produites devant le Tribunal administratif de Montpellier que le préfet de l’Hérault a contesté dès la phase précontentieuse les droits fondés en titre au demeurant jamais produits par la SARL SATEN et pourtant revendiqués par celle-ci, dès lors qu’il a constaté leur inadaptation au projet réalisé par cette société ;

...

Considérant qu’il ressort du jugement attaqué que pour apprécier l’existence et la consistance des droits fondés en titre revendiqués par la SARL SATEN ainsi que leur adéquation au projet en cause réalisé par cette dernière, le tribunal administratif ne s’est fondé que sur les éléments et les documents figurant dans le dossier produit par les parties à l’instance, en particulier sur ceux qui ont été fournis en défense par le préfet de l’Hérault, dont la réalité a d’ailleurs été confirmée par les écritures de la société requérante elle-même dans le cadre du débat contradictoire régulièrement mis en oeuvre par ledit tribunal ;

Considérant que le débat ouvert tant en première instance qu’en appel dans le cadre des recours examinés résulte de la contestation par le préfet de l’Hérault des caractéristiques d’une installation hydroélectrique qu’il a considéré comme étant inadaptées au lieu d’implantation et à l’environnement naturel ainsi que de la remise en cause de leur correspondance technique avec les droits revendiqués par l’exploitant ;

que, dans de telles circonstances, ce dernier ne peut sérieusement soutenir que la consistance légale de son installation n’ayant pas été remise en cause par l’autorité préfectorale, le tribunal administratif aurait sur ce point statué ultra petita ;

Considérant, enfin, que les requêtes enregistrées sous les n° 92-3267 et 94-1007 au greffe du Tribunal administratif de Montpellier concernaient la situation juridique et technique d’une même installation hydroélectrique, qu’elles présentaient, dès lors, à juger des questions semblables ;

qu’elles avaient en outre fait l’objet d’une instruction commune ;

que celui-ci a, par suite, pu régulièrement les joindre pour statuer par un seul jugement dès lors qu’il ressort de ce dernier que les premiers juges n’ont pas limité leur examen des deux instances au seul litige de plein contentieux et ont également statué de manière distincte sur les conclusions d’excès de pouvoir ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SARL SATEN n’est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait, pour les motifs susanalysés, est entaché d’irrégularité ;

Sur la légalité des décisions préfectorales des 18 novembre 1991 et 15 juillet 1992 :

Considérant qu’il est constant que les décisions susmentionnées du préfet de l’Hérault sont fondées sur les pouvoirs qu’il tient de l’article 109 du code rural dans sa rédaction alors en vigueur selon laquelle :

Les autorisations ou permissions accordées pour l’établissement d’ouvrages ou d’usines sur les cours d’eaux non domaniaux peuvent être révoquées ou modifiées sans indemnité de la part de l’Etat exerçant ses pouvoirs de police dans les cas suivants :

1° dans l’intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque cette révocation ou cette modification est nécessaire à l’alimentation en eau potable de centres habités ou en est la conséquence ;

2° pour prévenir ou faire cesser les inondations ;

3° dans le cas de la réglementation générale prévue à l’article 104 du présent code ;

4° lorsqu’elles concernent les ouvrages établissant ou réglant le plan d’eau ou les établissements ou usines qui, à dater du jour de la publication du règlement d’administration publique prévu au présent article, n’auront pas été entretenus depuis plus de vingt ans ; toute collectivité publique ou tout établissement public intéressé peut, en cas de défaillance du permissionnaire ou du titulaire de l’autorisation, et à sa place, après mise en demeure par le préfet, exécuter les travaux qui sont la conséquence de la révocation ou de la modification de la permission ou de l’autorisation, le remboursement de ces travaux ;

5° pour des raisons de protection de l’environnement et notamment lorsque ces autorisations soumettent les milieux naturels aquatiques à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation selon les modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

Les dispositions du présent article sont applicables aux permissions ou autorisations accordées en vertu des articles 106 et 107 du présent code ou antérieurement à la mise en vigueur de ces dispositions, ainsi qu’aux établissements ayant une existence légale et aux entreprises autorisées en application du titre III de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique.

Les conditions d’application du paragraphe 4° du présent article seront fixées par un règlement d’administration publique. ;

Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que la présence du barrage et de la micro centrale hydroélectrique réalisés par la SARL SATEN au lieudit le Seuil de Carabotte présentait des dangers certains pour les personnes, les biens et le milieu rural en raison, notamment, de l’incapacité de l’exploitant à réaliser les travaux rendus nécessaires par la configuration des lieux et l’activité du fleuve Hérault à l’emplacement précité ;

qu’ainsi, il est constant que les installations et le barrage mis en place par la société ont été détruits à deux reprises lors de crues survenues au cours des années 1991 et 1992 tout en étant à l’origine, par leur présence et leur inadaptation technique, de fortes érosions des berges, en détruisant partiellement plusieurs propriétés privées riveraines ainsi qu’un chemin de desserte existant ;

que la présence de cet édifice industriel en béton, qui constitue un obstacle artificiel à l’écoulement sans danger des eaux du fleuve, a de surcroît provoqué une érosion régressive du lit de ce dernier, mettant en péril, par effet induit, le seuil dit des Aurelles et les fondations du pont de Gignac situés en amont, provoquant également un détournement artificiel du fleuve sur les berges occupées par des propriétés publiques et privées ;

qu’enfin, les ouvrages ont été réalisés sans aucune mesure propre à assurer la libre circulation de la faune aquatique pourtant présente naturellement dans ce cours d’eau et ceci malgré les prescriptions notifiées à l’intéressée par l’administration préfectorale ;

Considérant, d’autre part, que les études réalisées par le bureau mandaté par la société elle-même ainsi que par la Mission Inter Service de l’Eau démontrent que la nouvelle installation hydroélectrique objet des litiges examinés, présente une implantation, une hauteur et une largeur intrinsèquement différentes de celles des ouvrages à l’origine de la simple prise d’eau autorisée à partir de 1851 ;

que l’enrochement modéré alors réalisé a été remplacé par des édifices en béton ayant eu pour effet de porter la chute d’eau initiale de 0,70 m à 3,50 mètres afin de transformer la force motrice naturelle alimentant le moulin traditionnel existant en 1851 en force hydraulique destinée au fonctionnement de turbines industrielles ;

qu’à supposer même que l’entreprise exploitante puisse se prévaloir d’un droit fondé en titre de prise d’eau naturelle, ce qui reste encore à établir en l’état du dossier produit, celui-ci ne pouvait, en tout état de cause, pas permettre l’exploitation de la micro centrale et du barrage construits par la SARL SATEN ni, surtout, faire obstacle à l’exercice des pouvoirs détenus par le préfet de l’Hérault en vertu des dispositions de l’article 109 du code rural ;

qu’enfin, la reconnaissance des droits que la requérante prétend pouvoir tirer d’un courrier de l’administration préfectorale en date du 6 mars 1989, lequel se bornait à enregistrer une situation de fait tout en édictant des conditions temporelles et techniques d’ailleurs jamais tenues par la SARL SATEN, ne faisait pas, non plus, obstacle à ce que le préfet mette en oeuvre les pouvoirs qu’il détenait afin d’assurer la sécurité et la salubrité des personnes et des biens concernés ;

Considérant qu’il suit de là, d’une part, que c’est légalement que le préfet de l’Hérault a pris les mesures destinées à faire cesser les dangers résultant de l’installation hydroélectrique du Seuil de Carabotte et qu’il a simultanément tiré les conséquences de sa décision en mettant en oeuvre les dispositions de l’article 8 bis de la loi modifiée du 8 avril 1946 afin de faire cesser l’activité correspondante ;

que d’autre part, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

que c’est ainsi par une exacte appréciation des circonstances de droit et de fait que le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté les conclusions d’excès de pouvoir sus-analysées ;

...