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Publié : 12 février 2013

Débit réservé et pouvoir du préfet

Conseil d’Etat, 31 mars 2004, M. et Mme Gaston, req. n° 250378

Principe : Les préfets peuvent, en vertu de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement et de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, édicter, par arreté, certaines mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau. Tel peut etre le cas pour maintenir le débit minimal d’un cours d’eau lorsqu’un ouvrage doit y etre construit. Dans une telle hypothcse, "le juge administratif peut aggraver ou compléter les prescriptions de l’arreté d’autorisation ou substituer aux rcgles fixées par le préfet, d’autres prescriptions techniques de nature à assurer la préservation de l’environnement", a ainsi rappelé le Conseil d’Etat dans cet arret.
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6cme et 1cre sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6cme sous-section de la Section du contentieux

Vu la requete, enregistrée le 17 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Yvette Gaston et M. Jean-Louis Gaston, demeurant (…) ; M. et Mme Gaston demandent au Conseil d’Etat :

1°) à titre principal, la réformation de l’article 5 de l’arreté interdépartemental du 3 juin 2002 modifiant les conditions d’exploitation de la microcentrale hydroélectrique du moulin de Roquetanicre sur le territoire des communes de Maurs (Cantal) et de Saint-Cirgues (Lot), en tant qu’il impose un débit réservé de 250 litres par seconde et interdit le turbinage en été ;

2°) à titre subsidiaire, l’annulation de cet arreté ;

3°) la condamnation des préfets du Cantal et du Lot à leur verser chacun la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

...

Considérant que l’exploitation, par M. et Mme Gaston, de la microcentrale hydroélectrique du moulin de Roquetanicre, qui est située sur le Veyre et sur le ruisseau Noir sur le territoire des communes de Maurs (Cantal) et de Saint-Cirgues (Lot), a été autorisée par un arreté du préfet du Cantal et du préfet du Lot du 20 avril 1967 pour un débit dérivé de 1 100 litres par seconde ; que M. et Mme Gaston, aprcs avoir réaménagé leur installation afin de porter le débit dérivé à 2 700 litres par seconde, ont demandé aux préfets la modification de leur arreté ; qu’ils ont ainsi pris un nouvel arreté les 3 et 4 juin 2002 dont l’article 5 a fixé le débit réservé sur le Veyre à 170 litres par seconde et celui sur le ruisseau Noir à 80 litres par seconde et a interdit le turbinage estival, sauf dans l’hypothcse ou le débit moyen aurait été particulicrement important le mois précédent ; que M. et Mme Gaston demandent,à titre principal, la modification de l’article 5 de cet arreté, et à titre subsidiaire, son annulation ;

Considérant que l’arreté attaqué constitue une mesure de police, prise au titre de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau ;

Sur les rcgles de droit applicables :

Considérant

que la loi du 3 janvier 1992 a notamment pour objet la gestion équilibrée de la ressource en eau et vise à concilier, lors des différents usages de l’eau, les exigences de l’alimentation en eau potable de la population, de la conservation et du libre écoulement des eaux, de l’agriculture, de la peche en eau douce, de la protection des sites et des loisirs ;

que selon l’article L. 211-2 du Code de l’environnement issu de l’article 8 de cette loi, un décret en Conseil d’Etat fixe, notamment, les rcgles de répartition des eaux, de manicre à concilier les intérets des diverses catégories d’utilisateurs ;

qu’en vertu de l’article L. 211-3 du Code de l’environnement qui reprend l’article 9 de cette loi, un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau ;

qu’aux termes de l’article L. 432-5 du Code de l’environnement : "Tout ouvrage à construire dans le lit d’un cours d’eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espcces qui peuplent les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empechant la pénétration du poisson dans les canaux d’amenée et de fuite.

/ Ce débit minimal ne doit pas etre inférieur au dixicme du module du cours d’eau au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage, si celui-ci est inférieur.

/ Toutefois, pour les cours d’eau ou parties de cours d’eau dont le module est supérieur à 80 mctres cubes par seconde, des décrets en Conseil d’Etat pourront, pour chacun d’eux, fixer à ce débit minimal une limite inférieure qui ne devra pas se situer en dessous du vingticme du module.

/ L’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d’eau le débit minimal défini aux deux alinéas précédents.

/ Les dispositions prévues aux alinéas précédents seront étendues aux ouvrages existant au 30 juin 1984 par réduction progressive de l’écart par rapport à la situation actuelle. Ces dispositions s’appliqueront intégralement au renouvellement des concessions ou autorisations de ces ouvrages.

/ A compter du 30 juin 1987, leur débit minimal, sauf impossibilité technique inhérente à leur conception, ne peut etre inférieur au quart des valeurs fixées aux deuxicme et troisicme alinéas du présent article (...)" ;

Sur le bien-fondé de la demande de M. et Mme Gaston :

Considérant qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 29 de la loi du 3 janvier 1992 et de l’article 14 de la loi du 19 juillet 1976 que le contentieux des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau est un contentieux de pleine juridiction ; qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi du 19 juillet 1976, le juge administratif peut aggraver ou compléter les prescriptions de l’arreté d’autorisation ou substituer aux rcgles fixées par le préfet, d’autres prescriptions techniques de nature à assurer la préservation de l’environnement ;

Considérant, en premier lieu, que l’administration n’apporte aucun justificatif de la nécessité pour les préfets d’imposer un débit réservé de 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 170 litres par seconde pour le Veyre ; qu’il ressort des documents versés au dossier, et notamment de l’étude d’impact produite, qu’un débit réservé de 125 litres par seconde pour le Veyre et de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir serait, dans les circonstances de l’espcce, en dehors de la période d’étiage, suffisant pour assurer le respect des dispositions précitées ;

Considérant, en second lieu, que l’administration n’apporte aucune justification à l’appui de son allégation selon laquelle l’interdiction générale de turbinage en été serait seule de nature à maintenir un état satisfaisant des milieux naturels fragilisés par de faibles débits ;

Considérant que, dcs lors, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de modifier, d’une part, les dispositions de l’article 5 de l’arreté attaqué en tant qu’elles fixent le débit réservé à 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et à 170 litres par seconde pour le Veyre, et de substituer, respectivement, à ces valeurs celles de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 125 litres par seconde pour le Veyre, d’autre part, d’annuler l’interdiction de turbinage estival posée par le meme article ; que toutefois il y a lieu, afin de tenir compte de la fragilisation des milieux, et notamment de la faune piscicole, en période de sécheresse, de porter le débit réservé de juillet à septembre à 150 % des débits réservés fixés ci-dessus ; qu’ainsi les requérants sont fondés à soutenir que l’article 5 de l’arreté interpréfectoral doit etre modifié en ce sens ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espace, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. et Mme Gaston une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1 : L’article 5 de l’arreté interpréfectoral du 3 juin 2002 est modifié comme suit :
"Prise d’eau du ruisseau Noir : (...) Débit réservé : 50 litres par seconde (...)
Prise d’eau du Veyre : (..) Débit réservé : 125 litres par seconde (...)
Turbinage estival : Durant la période d’étiage (du1er juillet au 30 septembre) les débits réservés pour le Veyre et pour le ruisseau Noir sont fixés à 150 % des valeurs mentionnées ci-dessus".

Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme Gaston la somme de 2000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requete est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Gaston, au ministre de l’Ecologie et du Développement durable et aux préfets du Lot et du Cantal.

Transmis par Merc Nicaudie

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