COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
lecture du mardi 29 mai 2001
Considérant que, par le jugement attaqué en date du 7 mai 1996, le tribunal administratif de GRENOBLE a condamné la COMMUNE DE DOMENE à payer à la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE la somme de 340.000 francs, outre les intérêts de droit, et a condamné solidairement le SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUX DE LA DHUY (S.I.E.D.) et la SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT URBAIN ET RURAL (S.A.U.R.) à payer à ladite SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE la somme de 1.071.587 francs, outre les intérêts de droit, en réparation dans les deux cas des préjudices subis par elle pendant la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1993, du fait des prélèvements d’eau effectués à la source de la DHUY ;
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne les moyens du S.I.E.D. et de la S.A.U.R. :
Considérant en premier lieu que tous les mémoires produits par les parties en première instance sont visés dans l’exemplaire du jugement figurant au dossier de première instance ;
que la circonstance que l’exemplaire communiqué aux parties ne contient pas ces visas n’a aucune incidence sur la régularité dudit jugement ;
Considérant en deuxième lieu qu’en précisant que les prélèvements à la source de la Dhuy se traduisent par un déficit équivalent au niveau de la prise d’eau sur le Domeynon alimentant la centrale des eaux de Revel, les premiers juges ont nécessairement et suffisamment répondu au moyen en défense soulevé en première instance par le S.I.E.D. et la S.A.U.R., relatif aux autres causes susceptibles d’expliquer les déficits d’eau disponible à la prise d’eau de la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE, notamment l’existence d’autres captages en amont, ayant pu avoir aussi une influence sur le régime hydraulique de la rivière ;
que, de la même façon, les premiers juges se sont prononcés sur la réalité du préjudice et ont indiqué les éléments de fait et le mode de calcul qu’ils ont utilisés, en référence au rapport de l’expert désigné en première instance, pour évaluer les préjudices, écartant ainsi nécessairement le moyen en défense également formulé par le S.I.E.D. et la S.A.U.R. relatif à l’absence d’un instrument de mesure efficace de nature à permettre l’évaluation exacte desdits préjudices ;
qu’il suit de là que le jugement attaqué n’est pas entaché d’insuffisance de motivation ;
En ce qui concerne le moyen de la COMMUNE DE DOMENE :
Considérant que, si la COMMUNE DE DOMENE n’a reçu que le 26 octobre 1995 le mémoire complémentaire produit par la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE après le dépôt d’un deuxième rapport d’expertise, alors que la clôture d’instruction avait été fixée au 31 octobre 1995, ledit mémoire, qui ne développait aucun moyen nouveau, se bornait à reprendre les éléments de fait tirés de ce rapport d’expertise, lui même communiqué aux parties depuis plusieurs mois ;
que, dans ces conditions, la COMMUNE DE DOMENE n’est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu en l’espèce ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ni le S.I.E.D. et la S.A.U.R., ni la COMMUNE DE DOMENE ne sont fondés à soutenir que le jugement est irrégulier en la forme ;
Sur la régularité de l’expertise de première instance :
Considérant que les allégations du S.I.E.D. et de la S.A.U.R. selon lesquelles l’expert aurait fait preuve de partialité ne sont pas établies ;
qu’il suit de là qu’ils ne sont pas fondés à soutenir que le rapport d’expertise serait irrégulier ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, par arrêté en date du 5 septembre 1910, le préfet de l’Isère a autorisé la société hydroélectrique du Domeynon, au droit de laquelle est venue depuis la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE, à exploiter une prise d’eau sur le torrent du Domeynon en vue de la production d’électricité ;
que le S.I.E.D., dont les ouvrages sont gérés par la S.A.U.R. depuis 1988, a été autorisé en 1937 à prélever 55 litres/seconde à la source de la Dhuy, qui alimente le torrent du Domeynon en amont de la prise d’eau de la société ;
que, par décret en date du 25 mars 1982, cette autorisation de prélèvement a été portée à 99 litres/seconde en hiver et 138 litres/seconde en été ;
que, de son coté, la COMMUNE DE DOMENE a été autorisée, par arrêté du préfet de l’Isère en date du 12 mars 1974, à prélever sur cette même source de la Dhuy 25 litres/seconde pendant toute l’année ;
Considérant que si l’autorisation d’utilisation de l’eau du Domeynon délivrée par le préfet de l’Isère le 5 septembre 1910 à la SOCIETE HYDROELECTRIQUE DU DOMEYNON prévoyait en son article 11 que " le permissionnaire ou son fermier ne pourra prétendre à aucune indemnité, ni dédommagement quelconque si, à quelque époque que ce soit, l’Administration reconnaît nécessaire de prendre, dans l’intérêt de la sécurité publique, de la police et de la répartition des eaux, des mesures qui le privent, d’une manière temporaire ou définitive, de tout ou partie des avantages résultant du présent règlement, tous droits antérieurs réservés ", les autorisations de prélèvement de l’eau de la source de la Dhuy délivrés au S.I.E.D. et à la COMMUNE DE DOMENE ne présentent pas le caractère de telles mesures, alors d’ailleurs que lesdites autorisations étaient au contraire explicitement assorties de l’obligation " d’indemniser les usiniers, irriguants et autres usagers des eaux pour tous les dommages qu’ils pourront prouver leur avoir été causés par la dérivation des eaux " ;
qu’ainsi, même si l’autorisation accordée à des fins industrielles à la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE ne lui confère qu’un droit d’usage précaire et révocable, dans les conditions définies par les dispositions relatives à la police des cours d’eau, cette société peut prétendre à une indemnisation dans le cas et dans la mesure où les captages effectués par le S.I.E.D. et la COMMUNE DE DOMENE ont entraîné une réduction du débit du torrent du Domeynon, de nature à porter préjudice à son activité ;
que, toutefois, le dommage dont s’agit ayant le caractère d’un dommage de travaux public et la société ayant la qualité de tiers par rapport aux ouvrages en cause, la responsabilité sans faute du S.I.E.D., de la S.A.U.R., qui gère les équipements de ce dernier, et de la COMMUNE DE DOMENE ne peut être engagée que si les dommages présentent un caractère anormal et spécial ;
Considérant que la circonstance que la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE vend depuis 1989 l’intégralité de l’électricité produite à EDF et lui rachète l’électricité dont elle a besoin pour son activité ne constitue pas, en tout état de cause, un changement d’activité de nature à remettre en cause l’autorisation d’utilisation du torrent dont elle bénéficie depuis 1910 précisément en vue de la production d’électricité ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que, dans les circonstances de l’espèce, eu égard à la configuration des lieux et à la nature des sols, tout prélèvement d’eau effectué à la source de la Dhuy se traduit par un déficit équivalent à la prise d’eau sur le torrent du Domeynon, alimentant la centrale hydroélectrique de la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE ;
que, dans ces conditions, le lien direct de causalité entre les prélèvements dont s’agit et le préjudice subi par ladite société doit être regardé comme établi, sans que le S.I.E.D. et la S.A.U.R. puissent utilement faire valoir que d’autres sources d’alimentation ou d’autres prélèvements en amont influent sur le régime de la rivière ;
Considérant que les prélèvements autorisés au profit du S.I.E.D. et de la COMMUNE DE DOMENE, dont l’incidence sur l’activité de la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE doit s’apprécier globalement, représentent, en hiver, au moment des plus basses eaux, et alors que le tarif d’achat de l’électricité par E.D.F. est le plus élevé, respectivement 20 % et 5 % du débit du torrent ;
que, dans ces conditions, le préjudice présente un caractère anormal et spécial de nature à ouvrir droit à réparation pour la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE, sans que le S.I.E.D., la S.A.U.R. et la COMMUNE DE DOMENE puissent dans ces conditions soutenir qu’il ne dépasse pas ce que les usagers des rivières doivent normalement supporter ;
Considérant que la COMMUNE DE DOMENE ne peut utilement faire valoir qu’il n’existe aucun engagement contractuel de sa part à indemniser la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE et que l’accord d’indemnisation passé en 1976 entre la régie municipale d’électricité et la société ne lui est pas opposable, dès lors que seule sa responsabilité extra-contractuelle a été retenue par le jugement attaqué ;
Sur l’évaluation des préjudices :
Considérant que l’évaluation des préjudices se fonde sur une analyse jour par jour des prélèvements réellement effectués au profit du S.I.E.D. et de la COMMUNE DE DOMENE à la source de la Dhuy, au regard de la production réelle de la centrale de la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE ;
Considérant que le S.I.E.D. et la S.A.U.R. font valoir que le déficit de production de la centrale de la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE serait dû à d’autres causes que les prélèvements effectués à la source de la Dhuy, notamment aux éventuelles pannes de l’installation, aux arrêts pour entretien, aux défaillances et au mauvais entretien du barrage, des conduites et des turbines ;
que, cependant, il a été suffisamment tenu compte de ces aléas en ne prévoyant aucune indemnité les jours où la centrale ne fonctionne pas et surtout en ramenant la capacité optimale de production de celle-ci, observée sur longue période, soit 45.000 kWh, à une capacité réelle moyenne de 36.000 kWh, en deçà de laquelle le déficit de production peut être regardé comme entièrement imputable aux prélèvements effectués au profit du S.I.E.D. et de la COMMUNE DE DOMENE ;
Considérant que cette méthode, fondée sur le principe que tout prélèvement d’eau effectué au niveau de la source de Dhuy doit être regardé comme faisant défaut à la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE dès lors que la production constatée de celle-ci devient inférieure à sa capacité réelle de production, fixée dans les conditions susmentionnées, permet une évaluation correcte des préjudices, compte tenu des correctifs apportés, et d’un coefficient énergétique valablement fixé à 1,719 ;
que la fiabilité de cette méthode n’est pas sérieusement remise en cause par les résultats de l’expertise produite en appel par le S.I.E.D. et la S.A.U.R., d’ailleurs non contradictoire, qui se fonde sur les débits du ruisseau enregistrés pendant une partie seulement de la période en litige et à plusieurs kilomètres en aval ;
qu’ainsi, le S.I.E.D., la S.A.U.R. et la COMMUNE DE DOMENE ne sont pas fondés à soutenir qu’à défaut de l’existence, pendant toute la période en litige, d’un instrument de mesure du débit réel du torrent au niveau de la prise d’eau de la société, les préjudices allégués ne seraient pas certains et actuels ;
Considérant certes que les premiers juges ont fixé les indemnités allouées à la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE en fonction des résultats de l’expertise tout en remettant en cause le mode de calcul proposé par l’expert sur trois points, qui ne donnent lieu à aucune contestation en appel ;
qu’ils ont d’abord retenu le principe d’une répartition du préjudice imputable d’une part au S.I.E.D. et à la S.A.U.R. et d’autre part à la COMMUNE DE DOMENE, en fonction de l’ancienneté des autorisations délivrées, alors que l’expert avait appliqué une méthode consistant à imputer en totalité à chacun la perte de production correspondant au volume réel de ses propres prélèvements, dès lors que la production réelle d’électricité de la centrale hydroélectrique de la société était inférieure à sa capacité réelle de production ;
qu’ils ont ensuite écarté la prise en compte par l’expert, à partir de juin 1993, d’une capacité réelle de production de non plus 36.000 kWh mais 41.000 kWh, du fait de l’amélioration des capacités de production de la centrale, alléguée en première instance par la société en raison de l’intervention de travaux qui auraient été effectués à cette date et dont la réalité n’est pas établie ;
qu’ils ont enfin considéré qu’il n’y avait pas lieu de retenir au profit du S.I.E.D., ainsi que l’avait fait l’expert, un droit de prélèvement " gratuit " et donc sans indemnisation jusqu’à 20 litres/seconde ;
Considérant toutefois que ces modifications dans les règles de calcul des préjudices ont, sur l’évaluation de ceux-ci telle que proposée par l’expert, des effets contraires qui doivent être regardés comme se compensant ;
que, par suite, le S.I.E.D., la S.A.U.R. et la COMMUNE DE DOMENE ne sont pas fondés à soutenir que les premiers juges ont fait en l’espèce une évaluation excessive des préjudices subis par la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE pour la période de quatre années considérée ;
Considérant que la COMMUNE DE DOMENE ne peut utilement faire valoir que la matérialité des préjudices n’est pas établie pour la période antérieure à 1990 alors que le jugement attaqué ne prononce aucune condamnation à réparation d’un tel préjudice ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le S.I.E.D. et la S.A.U.R. ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué en date du 7 mai 1996, le tribunal administratif de GRENOBLE les a solidairement condamnés à payer la somme de 1.071.587 francs, outre les intérêts de droit, à la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE, ni la COMMUNE DE DOMENE qu’il l’a condamnée, par le même jugement, à payer à ladite société la somme de 340.000 francs, outre les intérêts de droit ;
Sur les conclusions des parties tendant au paiement des frais non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, qui reprennent celles de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, font obstacle à ce que la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE qui n’est pas, dans les présentes instances, la partie perdante, soit condamnée à payer au S.I.E.D. et à la S.A.U.R. d’une part et à la COMMUNE DE DOMENE d’autre part les sommes qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le S.I.E.D. et la S.A.U.R d’une part et la COMMUNE DE DOMENE d’autre part à payer à la SOCIÉTÉ DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE les sommes qu’elle demande au même titre ;
Article 1er : Les requêtes du SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUX DE LA DHUY (S.I.E.D.) et de la SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT URBAIN ET RURAL (S.A.U.R.) d’une part et de la COMMUNE DE DOMENE d’autre part sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la SOCIETE DES PAPETERIES DE LA GORGE DE DOMENE présentées dans les deux affaires en vue du paiement des frais non compris dans les dépens sont rejetées.