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Publié : 28 février 2013

Le Conseil d’Etat réduit le débit réservé fixé sans motivation par le préfet (2004)

CE, 31 mars 2004, M. et Mme GASTON, n° 250378.

Considérant que l’exploitation, par M. et Mme X, de la microcentrale hydroélectrique du moulin de Roquetanière, qui est située sur le Veyre et sur le ruisseau Noir sur le territoire des communes de Maurs (Cantal) et de Saint-Cirgues (Lot), a été autorisée par un arrêté du préfet du Cantal et du préfet du Lot du 20 avril 1967 pour un débit dérivé de 1 100 litres par seconde ;

que M. et Mme X, après avoir réaménagé leur installation afin de porter le débit dérivé à 2 700 litres par seconde, ont demandé aux préfets la modification de leur arrêté ;

qu’ils ont ainsi pris un nouvel arrêté les 3 et 4 juin 2002 dont l’article 5 a fixé le débit réservé sur le Veyre à 170 litres par seconde et celui sur le ruisseau Noir à 80 litres par seconde et a interdit le turbinage estival, sauf dans l’hypothèse où le débit moyen aurait été particulièrement important le mois précédent ;

que M. et Mme X demandent, é titre principal, la modification de l’article 5 de cet arrété, et à titre subsidiaire, son annulation ;

Considérant que l’arrêté attaqué constitue une mesure de police, prise au titre de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau ;

Sur les règles de droit applicables :

Considérant que la loi du 3 janvier 1992 a notamment pour objet la gestion équilibrée de la ressource en eau et vise à concilier, lors des différents usages de l’eau, les exigences de l’alimentation en eau potable de la population, de la conservation et du libre écoulement des eaux, de l’agriculture, de la pêche en eau douce, de la protection des sites et des loisirs ;

que selon l’article L. 211-2 du code de l’environnement issu de l’article 8 de cette loi, un décret en Conseil d’Etat fixe, notamment, les règles de répartition des eaux, de manière à concilier les intérêts des diverses catégories d’utilisateurs ;

qu’en vertu de l’article L. 211-3 du code de l’environnement qui reprend l’article 9 de cette loi, un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau ;

qu’aux termes de l’article L. 432-5 du code de l’environnement : Tout ouvrage à construire dans le lit d’un cours d’eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces qui peuplent les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d’amenée et de fuite./ Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d’eau au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage, si celui-ci est inférieur./ Toutefois, pour les cours d’eau ou parties de cours d’eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, des décrets en Conseil d’Etat pourront, pour chacun d’eux, fixer à ce débit minimal une limite inférieure qui ne devra pas se situer en dessous du vingtième du module./ L’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d’eau le débit minimal défini aux deux alinéas précédents./ Les dispositions prévues aux alinéas précédents seront étendues aux ouvrages existant au 30 juin 1984 par réduction progressive de l’écart par rapport à la situation actuelle. Ces dispositions s’appliqueront intégralement au renouvellement des concessions ou autorisations de ces ouvrages./ A compter du 30 juin 1987, leur débit minimal, sauf impossibilité technique inhérente à leur conception, ne peut être inférieur au quart des valeurs fixées aux deuxième et troisième alinéas du présent article (....) ;

Sur le bien-fondé de la demande de M. et Mme X :

Considérant qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 29 de la loi du 3 janvier 1992 et de l’article 14 de la loi du 19 juillet 1976 que le contentieux des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau est un contentieux de pleine juridiction ;

qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi du 19 juillet 1976, le juge administratif peut aggraver ou compléter les prescriptions de l’arrêté d’autorisation ou substituer aux règles fixées par le préfet, d’autres prescriptions techniques de nature à assurer la préservation de l’environnement ;

Considérant, en premier lieu, que l’administration n’apporte aucun justificatif de la nécessité pour les préfets d’imposer un débit réservé de 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 170 litres par seconde pour le Veyre ;

qu’il ressort des documents versés au dossier, et notamment de l’étude d’impact produite, qu’un débit réservé de 125 litres par seconde pour le Veyre et de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir serait, dans les circonstances de l’espèce, en dehors de la période d’étiage, suffisant pour assurer le respect des dispositions précitées ;

Considérant, en second lieu, que l’administration n’apporte aucune justification à l’appui de son allégation selon laquelle l’interdiction générale de turbinage en été serait seule de nature à maintenir un état satisfaisant des milieux naturels fragilisés par de faibles débits ;

Considérant que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de modifier, d’une part, les dispositions de l’article 5 de l’arrêté attaqué en tant qu’elles fixent le débit réservé à 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et à 170 litres par seconde pour le Veyre, et de substituer, respectivement, à ces valeurs celles de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 125 litres par seconde pour le Veyre, d’autre part, d’annuler l’interdiction de turbinage estival posée par le même article ;

que toutefois il y a lieu, afin de tenir compte de la fragilisation des milieux, et notamment de la faune piscicole, en période de sécheresse, de porter le débit réservé de juillet à septembre à 150 % des débits réservés fixés ci-dessus ;

qu’ainsi les requérants sont fondés à soutenir que l’article 5 de l’arrêté interpréfectoral doit être modifié en ce sens ;

DECIDE :

Article 1 : L’article 5 de l’arrêté interpréfectoral du 3 juin 2002 est modifié comme suit :

Prise d’eau du ruisseau Noir : (...) Débit réservé : 50 litres par seconde (...)

Prise d’eau du Veyre : (...) Débit réservé : 125 litres par seconde (...)

Turbinage estival : Durant la période d’étiage (du1er juillet au 30 septembre) les débits réservés pour le Veyre et pour le ruisseau Noir sont fixés à 150 % des valeurs mentionnées ci-dessus.

Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme X la somme de 2000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme X, au ministre de l’écologie et du développement durable et aux préfets du Lot et du Cantal.

Résumé : 27-02 Il ressort des dispositions combinées de l’article 29 de la loi du 3 janvier 1992 et de l’article 14 de la loi du 19 juillet 1976 que le contentieux des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau, et, notamment, celui des autorisations d’exploitation d’ouvrages construits dans le lit de cours d’eau est un contentieux de pleine juridiction. En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi du 19 juillet 1976, le juge administratif peut dès lors aggraver ou compléter les prescriptions de l’arrêté d’autorisation ou substituer aux régles fixées par le préfet d’autres prescriptions techniques de nature à assurer la préservation de l’environnement.


L’ intérêt majeur de cette décision importante est constitué par la reconnaissance du caractère de pleine juridiction des contentieux diligentés au titre de la police de l’ énergie. En effet, on rappellera qu’ aux termes de l’ article L. 214-5 du code de l’ environnement (ancien article 10.V de la loi du 3 janvier 1992 sur l’ eau), « les règlements d’ eau des entreprises hydrauliques sont pris conjointement au titre de l’ article 10 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’ utilisation de l’ énergie hydraulique et des articles L. 214-1 à L. 214-6 ».

A ce titre, le juge est habilité à se substituer à l’ administration pour compléter voire réécrire ses règlements. En l’ espèce, le Conseil d’ Etat annule pour défaut de motivation des débits réservés sur deux cours d’ eau, initialement prévus pour chacun à 80 et 170 l/s, pour les porter à 50 et 125 l/s ce qu’ il estime suffisant en l’ occurrence pour assurer la préservation de l’ environnement. Il en va de même s’ agissant d’ une interdiction générale de turbinage en été – insuffisamment justifiée selon lui – qui est transformée en augmentation à hauteur de 150 % de juillet à septembre des débits réservés fixés en temps normal, pour tenir compte de la fragilisation des milieux en période de sécheresse.