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Publié : 19 novembre 2012

La cour d’appel reconnait le droit d’une usine à indemnisation suite à des prélèvements (2007

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
Lecture du 12 juin 2007

Sur l’intervention de la SOCIETE SAS MEYLAN 10 :
Considérant qu’aux termes ’de l’article R. 632-1 du code de justice administrative : « L’intervention est formée par mémoire distinct (...)), tandis qu’aux termes de l’article R. 811-1 du même code : (( Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu’elle n’aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance (. ..) » ;

Considérant que la SOCIETE SAS MEYLAN 10 a, par un mémoire distinct enregistré le 26 mars 2003, formé une intervention dans l’instance introduite par la SOCIETE MATUSSlERE ET FOREST, enregistrée sous le n° ü2LY1067, dirigée contre le jugement du 27 mars 2002 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande formée par cette société tendant à ce que le Syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy et la société SAUR soient solidairement condamnés à réparer le préjudice qu’elle a subi du fait de prélèvement en eau en amont de la centrale de Pia et de la dénonciation unilatérale par ces derniers de la convention du mois du 1er mars 1980 qui avait prévu les modalités d’indemnisation de la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

que, par une lettre du 20 février 200 l, la SAS MEYLAN 10 a informé le préfet de l’Isère qu’elle se substituait à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST pour l’exploitation de cet aménagement hyroélectrique ;

que, par un anêté n° 2003-00952 du 24 janvier 2003, le préfet de l’Isère a autorisé la SOCIETE MEYLAN 10 à disposer de l’énergie de la rivière de Domeynon pour une durée de trente ans, aux termes d’un article 1er intitulé (( Renouvellement de l’autorisation de disposer de l’énergie )) ;

que laSAS MEYLAN 10, qui n’a été autorisée à poursuivre J’exploitation et l’aménagement de la rivière que postérieurement à l’instance engagée devant le Tribunal administratif de Grenoble et au jugement du 27 mars 2002 dont appel, n’avait pas qualité pour introduire une intervention volontaire devant les premiers juges ;

qu’ayant été autorisée au mois de janvier 2003 par le préfet de l’Isère à poursuivre l’activité, la SAS MEYLAN 10 est venue aux droits de la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

que par suite, son intervention, qui présente le même objet que la requête introduite par cette dernière et présentée pour la première fois en appel, doit être admise ;

Sur l’intérêt à agir de la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST :
Considérant qu’aux termes de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, intégré dans le titre IV qui concerne les entreprises antérieurement autorisées ou concédées : (( Les entreprises autorisées à la date de la promulgation de la présente loi demeurenl pendanl soixante-quinze ans, à compter de la même dàte, soumises au régime qui leur était antérieurernent applicables (...) ,

Ces entreprises suivant qu’elles sont ou non réputées cessibles aux termes de l’article 2, sont à l’expiration du régime provisoire prévu au paragraphe précédent et au point de vue des délais de préavis, du droit de pr rérence et de leurs conséquences, soumises respectivement aux di,spositions des articles J3 et 16 (.,.) )) ;

Considérant, en premier lieu, que l’entreprise au sens de ces dispositions, doit s’entendre des installations matérielles et non de la personne physique ou morale bénéficiaire de l’autorisation ou de la concession ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de ces dispositions que les entreprises autorisées avant la promulgation de cette loi à exploiter l’énergie des cours d’eau étaient bénéficiaires d’une autorisation pour une durée de soixante-quinze ans venant à expiration en 1994 et n’étaient donc pas soumises au régime prévu pour les autres entreprises par le titre III de cette loi, sauf en ce qui concerne la demande de renouvellement de l’autorisation à l’expiration du délai de 75 ans ;

que notamment, elles n’entraient pas dans le champ d’application du demier alinéa de l’article 16 qui prévoit que : « Toute cession totale ou partielle d’autorisation, touf changement de permissionnaire doit, pour être valable, être not fzé au préfet qui, dans Les deux mois de cette notification, devra en donner acte ou en signifier son refus motivé. Cette disposition ne s’applique pas aux ventes en justice )) ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’autorisation accordée par arrêté en date du 23 février 1882, par laquelle le préfet de l’Isère a autorisé le Sieur MATUSSIERE à installer une prise d’eau sur le ruisseau du Domeynon pour la mise en oeuvre d’une centrale électrique dénommée « centrale de Pia » a été transmise, après le décès de M. MATUSSlERE et de son associé, M. FOREST, à leurs successeurs venant à leurs droits sous la forme sociale de la société des papeteries du Domeynon jusqu’en 1983, puis de la compagnie financière du Led< ;tr jusqu’en 1990, enfin la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST SA depuis cette date ;

que le régime transitoire prenant fin en 1994, la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST a en 1991, sollicité le renouvellement de l’autorisation dont la validité a été prorogée jusqu’à ce que le préfet ait statué sur sa demande par application des dispositions du décret n° 93-742 du 29 mars 1993 modifié par le décret nO 95-1204 du 6 novembre 1995 ;

qu’en raison du transfert des biens de la société à la SAS MEYLAN 10 en 2001 et l’autorisation préfectorale n’ayant pas encore été accordée, cette dernière a repris à son compte la demande d’autorisation que les nouvelles dispositions applicables en la matière subordonnaient à la réalisation d’une étude d’impact soumise à enquête publique ;

que, par arrêté du 24 janvier 2003, le préfet de l’Isère, après avoir visé la lettre du 20 février 2001 de la SAS MEYLAN 10 l’informant qu’elle se substituait à la SOCIETE MATUSSlERE ET FOREST pour l’exploitation de cet aménagement, a autoTisé celle-ci à poursuivre l’exploitation de cet ouvrage pour une durée de trente ans ;

qu’ainsi, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal administratif, l’entreprise industrielle dont s’agit, dont il n’est pas contesté que sa consistance n’a pas été modifiée, a toujours fait l’objet d’une autorisation régulière d’exploitation et notamment pendant la période concernée par la demande d’indemnisation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif a jugé que la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ne disposait d’aucun titre lui donnant droit à indenmisation en raison du préjudice subi ;

qu’il y a lieu de statuer sur la demande de la société par la voie de l’effet dévolutif ;

Sur la responsabilité solidaire du SIED et de la SAUR :
Considérant que la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST peut prétendre à indemnisation dans le cas et dans la mesure où les captages effectués par le SIED et la SAUR ont entraîné une réduction du débit du torrent du Domeynon de nature à porter préjudice à son activité ;

que toutefois, le dommage dont s’agit ayant le caractère d’un dommage de travaux publics et la société ayant la qualité de tiers par rapport aux ouvrages en cause, la responsabilité sans faute du SIED et de la SAUR qui gère les équipements appartenant au SIED par un contrat de gérance signé en 1988, ne peut être engagée que si les dommages présentent un caractère anormal et spécial ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, dans les circonstances de l’espèce, eu égard à la configuration des lieux et à la nature des sols, tout prélèvement effectué à la source de la Dhuy se traduit par un déficit équivalent à la prise d’eau sur le torrent du Domeynon, alimentant le canal de dérivation vers la centrale de Pia appartenant à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

que, dallS ces conditions, le lien direct de causalité entre les prélèvements dont s’agit et le préjudice subi par ladite société doit être regardé comme établi ;

que d’ailleurs, par une convention en date du 1cr mars 1980, le SIED avait lui-même reconnu ce lien direct et accepté d’indemniser la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST du préjudice subi en raison de l’augmentation du débit d’eau prélevé ;

que par ailleurs les prélèvements autorisés au profit du SIED puis de la SAUR, dont l’incidence sur l’activité de la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST doit s’apprécier globalement, représentent en hiver, au moment des plus basses eaux, et alors que le tarif d’achat de l’électricité par EDF est le plus élevé, 20 % du débit du torrent èt 5 % au mois de juin ;

que dans ces conditions, le préjudice présente un caractère anormal et spécial de nature à ouvrir droit à réparation pour la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST, sans que le SIED ct la SAUR puissent dans ces conditions soutenir qu’il ne dépasse pas ce que les usagers des rivières doivent normalement supporter ; que par suite, le SIED et la SAUR doivent être condamnés solidairement à réparer le préjudice subi par la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE MATUSSlERE ET FOREST et la SAS MEYLAN 10 sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes ;

Sur le préjudice :
Considérant qu’à la suite de la dénonciation unilatérale par le SIED et la SAUR de la convention du 1er mars 1980, le règlement des factures d’indemnités pour la période du 1er septembre 1988 au 31 août 1989 a été intenompu ;

que le montant du préjudice, calculé d’après les relevés des prélèvements réellement effectués pour cette période, s’établit à la sonune de 132432,25 frallCS TTC (20 187,84 euros) ;

que le SIED et la SAUR doivent être condamnés solidairement à payer cette somme à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

Considérant qu’il résulte des deux rapports d’expeliise déposés les 20 décembre 1994 et 5 mai 1998 que le préjudice financier subi par la SOCIETE MATUSSIERE et FOREST s’établit à 377 250 francs Hl’ pour la période du 1cr janvier 1990 au 31 décembre 1993 et à 410 953,82 francs Hl’ pour la période du 1er janvier 1994 au 17 décembre 1997 ;

que ces pertes financières ont été calculées à partir des données connues des débits journaliers dérivés par le SIED puis par la SAUR sur les périodes correspondantes, des productions journalières à la centrale de Pia et du coefficient énergétique de la centrale, et ce de façon forfaitaire et équitable compte-tenu des données chiffrées existantes ;

que, contrairement à ce que soutient la société requérante, c’est à bon droit que les experts n’ont pas pris en compte dans le préjudice subi les 20 litres/seconde qui lui étaient fournis gratuitement pas le SIED ;

qu’ainsi, le SIED et la SAUR doivent être condamnés solidairement à payer les sommes de 377 250 francs HT (57507,62 euros) et 410953,82 francs ET (62645,40 euros), soit 120153,02 euros à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST ;

Considérant cependant que l’état de l’instfllction ne permet pas à la Cour de déterminer le montant du préjudice financier subi par la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST pour la période du 20 décembre 1997 au 30 septembre 2000 ;

qu’il y a lieu par suite d’ordonner une expertise sur ce point aux fins définies dans le dispositif du présent arrêt ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que la SOCIETE MATUSSIERE et FOREST a droit aux intérêts de la somme de 20 187,84 euros à compter du jour de la réception par le SIED et la SAUR de sa demande, soit le 4 janvier 1990, à compter du 8 décembre 1993 pour la somme de 57 507,62 euros et du 6 mai 1996 pour la somme de 62 645,40 euros ;
Considérant que la capitalisation des intérêts pour les sorrunes de 132432,25 francs et de 377 250 francs a été demandée le 30 avril 1996 et le 7 mars 2000 pour la sonmle de 410953,82 francs ;

qu’à ces dates, il était dû au moins une almée d’intérêts ;

que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ainsi que pour chaque année échue à compter de ces dates ;

Sur les frais d’expertise :
Considérant qu’il sera statué sur les frais d’expertise en fin d’instance ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST, qui n’est pas dans la présente instance, la partie tenue aux dépens, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par le SIED et la SAUR en appel et non compris dans les dépens ;

Considérant que la SAS MEYLAN 10, intervenante dans le présent contentieux, n’entre pas dans le champ des dispositions susmentionnées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

que par suite, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions qu’elle présente Sur ce fondement ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des mêmes dispositions de mettre à la charge solidaire du SIED et de la SAUR une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SOCIÉTÉ MATUSSIERE ET FOREST en appel et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 27 mars 2002 est annulé.
Article 2 : L’intervention de la SAS MEYLAN 10 est admise.
Article 3. : Le SIED et la SAUR sont condamnés à verser à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST les sommes de 20 187,84 euros pour la période du 1eT septembre 1988 au 31 août 1989 avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 1990, 57 507,62 euros pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1993, avec intérêts à taux légal à compter du 8 décembre 1993 et 62 645,40 emos pour la période du 1er janvier 1994 au 17 décembre 1997, avec intérêts à taux légal à compter du 6 mai 1996. Les intérêts échus à la date du 30 avril 1996 pour les sommes de 20 187,84 euros et de 57 507,62 euros et au 7 mars 2000 pour la somme de 62645,40 euros, seront capitalisés à ces dates puis à chaque échéance annuelle à compter de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la SOCIETE MATUSSIERE ET ,. FOREST tendant à l’indemnisation du préjudice financier subi pour la période du 20 décembre 1997 au 30 septembre 2000, procédé à une expertise aux fins :
d’entendre les parties, de prendre connaissance de tous les documents fournis par elles,
de procéder à la visite et à la description des installations de captage des eaux par le SIED, aux obligations duquel est venue la SAUR,
de se faire communiquer tous les relevés de compteurs pour la période allant du 20 décemhre 1997 au 30 septembre 2000 sur laquelle s’est poursuivi le préjudice subi par la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST aux droits et obligations de laquelle est venue la SAS MEYLAN 10,
de chiffrer le préjudice énergétique (en termes de KW/H) subi par ces sociétés résultant des captages réalisés par le SIED puis par la SAUR,
de traduire ces pertes en termes de préjudice financier correspondant sur cette période,
de retenir, pour ce faire, une méthode précise équitable et pertinente prenant en compte l’ensemble des paramètres en présence, notamment les avantages dont pouvait bénéficier la société requérante en termes de quantité d’eau fournie gratuitement.
Article 5 : L’expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 6 : Le SIED et la SAUR verseront solidairement à la SOCIETE MATUSSlERE ET FOREST une somme de 1 500 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les conclusions de la SAS MEYLAN 10 tendant à l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Artic !e 8 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE MATUSSIERE ET FOREST, à la SOCIETE MEYLAN 10, au Syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED), à la Société d’aménagement urbain et rural (SAUR), à MM. Bossy et Livet, expe11s, et au ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.