Michel DES ACCORDS / Marc NICAUDIE Veille Juridique des Riverains - février 2006
Notions fondamentales et essentielles.
Un moulin à eau ne peut pas exister et fonctionner sans un dispositif ou barrage placé en travers du cours d’eau qui élève le niveau de l’eau de manière artificielle. Une partie de ces eaux est dérivée au moyen d’un canal d’amenée vers la roue horizontale ou verticale produisant l’énergie hydraulique. Ces eaux sont ensuite évacuées par le canal de fuite qui rejoint le cours d’eau. Le barrage, les canaux d’amenée et de fuite sont des parties du moulin réputées appartenir au moulin et indispensables à son fonctionnement.
Il y a des cas particuliers. En montagne, par exemple en Ariège, le cours d’eau a une pente suffisante et importante qui permet de se dispenser de construire un barrage en pratiquant un canal d’amenée parallèle au cours d’eau sur une centaine de mètres parfois sur les deux rives. Les deux moulins sont face à face avec une chute exploitable. Le canal de fuite est réduit à sa plus simple expression : le rejet vers le cours d’eau est presque immédiat.
Textes utilisés pour la rédaction du présent cas.
Monsieur X ou ses auteurs sont propriétaires d’un moulin à eau fondé en titre sur un cours d’eau non domanial. Le canal de fuite du moulin est long et comme souvent en pareil cas, les terrains longeant ledit canal ont été vendus à différentes personnes Monsieur Y, et Monsieur Z.
X assigne Y et Z devant le tribunal d’instance en 1998 afin d’obtenir l’autorisation de procéder au curage du canal traversant leur propriété. En 1999, le tribunal déboute X de sa demande au motif qu’il ne bénéficiait pas d’une servitude de passage et qu’il n’apportait pas la preuve que le canal n’était pas dans son état naturel.
Il y a une jurisprudence constante en ce qui concerne les éléments d’un moulin (canal d’amenée et canal de fuite, barrage ou chaussée) reconnaissant au propriétaire pleine propriété ou droit d’usage en vertu du droit d’accession (article 546 du code civil). Les choses se compliquent quand le propriétaire du moulin, à cause d’une succession d’actes de vente mal rédigés n’a pas l’usage des terrains longeant les deux rives des canaux d’amenée et de fuite ainsi que le terrain permettant d’aller du moulin au barrage pour pouvoir manœuvrer les vannes de décharge ou de régulation. Mais même dans ce cas inconfortable pour le propriétaire du moulin, des solutions juridiques existent : servitudes de passage ou d’appui en cas de démembrement de la propriété du moulin.
Cette jurisprudence constante s’appuie sur le droit d’accession défini dans l’article 546 du code civil. Encore faut-il l’utiliser.
X ne se décourage pas et fait appel du jugement en 2001 devant la Cour d’Appel A qui le déboute de sa demande au bénéfice de la présomption de propriété du canal d’évacuation de l’eau alimentant autrefois le moulin au motif qu’il ne pouvait avoir plus de droit que ses auteurs n’en avaient acquis et qu’il ne pouvait invoquer une présomption légale détruite par les termes du titre de ses auteurs. En effet le moulin acquis par X portait sur l’acte d’achat la mention inexacte mais pourtant couramment utilisée chez les notaires ignorants du droit des moulins de "maison d’habitation (ancien moulin)". L’adjectif "ancien" abuse les juges et les avocats peu avertis du droit des moulins à eau qui se fient à tort aux approximations dangereuses des notaires dans leur très grande majorité. La Cour d’Appel A refuse de reconnaître à X une servitude de passage de l’eau.
X ne se décourage pas pour autant et la Cour de Cassation, en 2002, casse et annule dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la Cour d’Appel A en se basant sur l’article 546 précité en disant que la Cour d’Appel a violé ce texte.
La Cour d’Appel B est désignée comme juridiction de renvoi après la Cour de Cassation. Y et Z se défendent avec âpreté et demandent que soit jugé que le moulin est resté inactif plus de 30 ans (depuis 1960) et que de surcroît l’acte de vente précise "maison d’habitation (ancien moulin)". La servitude de passage de l’eau est éteinte par le non-usage pendant 30 ans.
En réponse, la Cour relève en 2004 que "la présomption légale de propriété sur les accessoires d’un moulin s’applique même en l’absence de mention expresse dans les actes de propriété. Même si le canal de fuite n’est pas mentionné dans l’acte de vente des parcelles situées en contrebas du moulin, il est présumé appartenir au propriétaire du moulin. Les éléments du moulin fondé en titre par l’effet de son existence antérieure à la Révolution Française de 1789, a toujours conservé ses ouvrages régulateurs et sa force motrice même pendant les années 1960, l’usine hydraulique ayant été modifiée afin d’utiliser les équipements hydrauliques et la force motrice en vue d’usages aquacoles. Cette modification ne saurait constituer des actes non équivoques faisant disparaître l’affectation usinière du moulin ou le droit d’eau de celui-ci. La mise en chômage depuis les années 1960 de l’usine hydraulique fondée en titre ne fait pas disparaître ce droit dès lors que la renonciation à un tel droit ne se déduit pas de la seule inaction de son titulaire et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer." Cette renonciation non-équivoque n’étant pas établie, le canal de fuite est réputé appartenir, dans toute sa longueur et toute sa largeur au propriétaire du moulin en l’absence de titres contraires.
Observation : la propriété d’un moulin peut, en effet être démembrée : le bâtiment, le canal d’amenée, celui de fuite ou même le barrage peuvent faire théoriquement l’objet de ventes séparées à autant de propriétaires différents. Le moulin peut fonctionner avec des servitudes.
Et c’est ainsi que logiquement la Cour d’Appel B dit que M. X étant propriétaire du canal de fuite, il doit disposer d’une servitude de passage sur les francs bords du canal de fuite en vertu du droit d’eau attribué au moulin.
Comme toujours dans les procédures, il faut de la rigueur et apporter des éléments précis, prouvés par des pièces certifiées.
En conséquence :
Il est recommandé de ne pas démembrer la propriété cadastrale d’un moulin pour éviter des conflits.
S’il y a démembrement, il faut établir parallèlement des actes authentiques ou des conventions précisant bien les droits et les servitudes du moulin sur ses accessoires. Cela fait partie de la mission des notaires.
Michel DES ACCORDS / Marc NICAUDIE Veille Juridique des Riverains (février 2006)
références (NDLR) :
Cass civ 3e ch, 27 nov 2002 - n° 1741
App Caen 23 sept 04 - n° RG 03/03894
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