Conseil d’Etat 11 décembre 2000
Sur la légalité de l’arrêté du préfet de l’Aveyron du 28 novembre 1991 autorisant l’exploitation d’une centrale hydroélectrique :
Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article premier de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, nul ne peut disposer de l’énergie des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’Etat ;
qu’il résulte du rapprochement des premier et deuxième alinéas de l’article 2 de la même loi, telle qu’elle a été modifiée par la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980, que sont placées sous le régime de la concession les entreprises dont la puissance représentant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation excède 4 500 kilowatts et que les autres entreprises sont placées sous le régime de l’autorisation ;
qu’il est spécifié au septième alinéa de l’article 2 de la loi que la procédure d’octroi des autorisations comporte une enquête publique et la publication d’une étude ou notice d’impact suivant l’importance de l’ouvrage ;
que l’article 16 de la loi donne compétence au préfet pour accorder les autorisations ;
qu’enfin, l’article 28 de la loi du 16 octobre 1919 charge des règlements d’administration publique, auxquels ont été substitués depuis l’intervention de la loi n° 80-514 du 16 juillet 1980, des décrets en Conseil d’Etat, du soin de fixer notamment "la forme de l’instruction des projets et de leur approbation" ;
Considérant que le décret n° 81-375 du 15 avril 1981 pris sur le fondement de ces dernières dispositions énonce dans le premier alinéa de son article 16 que : "L’acte d’autorisation porte règlement d’eau de l’entreprise et fixe la durée pour laquelle l’autorisation est accordée" et dispose dans son second alinéa qu’"il doit intervenir au plus tard dans les quatre mois qui suivent la clôture de l’enquête ..." ;
que cette disposition ne dessaisit pas l’administration à l’expiration du délai qu’elle fixe ;
Considérant qu’il suit de là que le préfet de l’Aveyron pouvait légalement accorder l’autorisation sollicitée plus de quatre mois après la clôture, intervenue le 11 janvier 1991, de l’enquête publique portant sur le dossier de demande d’autorisation d’exploiter une centrale hydroélectrique au Moulin d’Olt, sur le territoire de la commune d’Entraygues ;
qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué , le tribunal administratif de Toulouse s’est fondé sur l’expiration du délai précité de quatre mois pour annuler l’arrêté en date du 28 novembre 1991 par lequel le préfet de l’Aveyron a autorisé la SNC Cayrol-Fonkenell et Cie à disposer de l’énergie de la rivière le Lot pour l’exploitation d’une entreprise située sur le territoire de la commune d’Entraygues et destinée à la production d’électricité ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par l’association "eau-espace-environnement (EEE), par M. Mommaton et par l’Association nationale de protection des salmonidés "truite ombre saumon" (TOS) devant le tribunal administratif de Toulouse ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande présentée par l’association TOS devant le tribunal administratif de Toulouse ;
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
Quant à la compétence du préfet :
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 2 de la loi du 16 octobre 1919 modifiée que le régime d’autorisation s’applique aux entreprises dont la puissance est inférieure ou égale à 4500 kilowatts ; que le projet d’usine hydroélectrique objet de la demande déposée par la SNC Cayrol-Fonkenell et Cie n’excède pas 1930 kilowatts ; que, dès lors, il entrait dans le champ d’application du régime d’autorisation relevant de la compétence de l’autorité préfectorale ;
Quant à la compétence du pétitionnaire :
Considérant que l’entreprise de production d’électricité objet de la demande d’autorisation est située à 5 kilomètres en aval de l’usine hydro-électrique de Golinhac exploitée pour Electricité de France ;
qu’elle ne peut être regardée comme une dépendance de cette usine ;
qu’Electricité de France n’a déposé pour le site du Moulin d’Olt aucune demande concurrente de celle déposée par la société Cayrol-Fonkenell et Cie ;
qu’ainsi le moyen tiré de ce que cet établissement public aurait été seul habilité à déposer une demande d’autorisation pour le site dont s’agit doit être écarté ;
Quant au contenu du dossier :
Considérant que selon l’article 4 du décret du 12 avril 1981, le dossier de la demande d’autorisation comporte notamment "une étude d’impact lorsque la puissance maximum brute dépasse 500 kilowatts" et "une note précisant les capacités techniques et financières du pétitionnaire" ;
qu’il est spécifié en outre que "le pétitionnaire doit justifier qu’il a la libre disposition des terrains ne dépendant pas du domaine public, sur lesquels les travaux nécessaires à l’aménagement de la force hydraulique doivent être exécutés" ;
Considérant, en premier lieu, que l’étude d’impact, après une description détaillée du milieu physique, biologique et humain, analyse l’impact du projet successivement sur les nuisances sonores, les crues, la flore et la faune, le milieu piscicole, les paysages et la fréquentation du site ;
qu’elle fait référence aux possibilités existantes de franchissement, par les poissons, du barrage d’origine, situé en amont du projet ;
que, sans dissimuler les effets négatifs du projet, elle propose une série de mesures compensatoires parmi lesquelles la réalisation d’une nouvelle échelle à poissons ;
que, dans ces conditions, le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que le dossier de demande d’autorisation comportait une note relative à la capacité financière du pétitionnaire qui indiquait notamment que le financement serait réalisé par un emprunt à long terme ;
qu’en outre le dossier a été complété par la production de l’engagement pris le 25 juin 1991 par trois établissements de crédit de prêter à la SNC Cayrol-Fonkenell et Cie les sommes nécessaires au financement de l’ouvrage faisant l’objet de la demande ;
Considérant, en troisième lieu, que le dossier de demande d’autorisation comportait les deux promesse de vente justifiant, à la date du dépôt de ce dossier, de la libre disposition par le pétitionnaire des terrains nécessaires à la réalisation du projet et qu’il a été complété par un document, qui a également été soumis à l’enquête publique, portant prorogation de celle de ces deux promesses de vente dont la durée initiale venait à expiration avant le début de l’enquête ;
que les documents en date des 19 et 20 novembre 1991 visés par l’arrêté d’autorisation ne font que confirmer que le pétitionnaire a la libre disposition des terrains concernés ;
Quant aux consultations requises :
Considérant que le deuxième alinéa de l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919 fait obligation de recueillir l’avis des conseils généraux des départements sur le territoire desquels l’énergie est aménagée ;
que l’article 9 du décret du 15 avril 1981 prescrit dans son premier alinéa que "Dès l’ouverture de l’enquête le préfet provoque l’avis du conseil général", lequel dispose en vertu du deuxième alinéa du même article d’un délai de deux mois ;
que, selon le troisième alinéa de l’article 9 : "le préfet recueille, dans le même délai, l’avis de la commission départementale des sites et de l’environnement" ; qu’enfin, l’article 10 du décret prévoit que "dès l’ouverture de l’enquête, le service chargé de la police des eaux consulte les services intéressés par l’entreprise" ;
Considérant qu’aucune de ces dispositions n’oblige le préfet à refuser l’autorisation demandée au motif qu’un des avis recueillis en application des dispositions précitées est défavorable ;
que, dès lors, la circonstance que les avis émis par la commission départementale des sites et de l’environnement et par le délégué régional à l’architecture et à l’environnement ont été défavorables, à la différence de tous les autres avis recueillis, ne faisait pas obstacle par elle-même à la délivrance, par le préfet de l’Aveyron, de l’autorisation précitée ;
Quant à la nécessité d’une nouvelle enquête :
Considérant que même si certaines précisions ont été apportées au projet au cours de sa procédure d’instruction, elles n’ont apporté à ce dernier aucune modification substantielle de nature à rendre obligatoire l’intervention d’une nouvelle enquête publique préalablement à l’intervention de l’arrêté d’autorisation ;
En ce qui concerne les autres moyens invoqués à l’encontre de l’arrêté d’autorisation :
Considérant en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué contreviendrait à des servitudes d’utilité publique manque en fait ;
Considérant en deuxième lieu, que si le quatrième alinéa de l’article 2 de la loi du 16 octobre 1919 modifiée énonce qu’"afin de protéger la nature, la faune et la flore, des dispositions réglementaires définiront les conditions techniques d’aménagement et de fonctionnement des centrales électriques", il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en accordant l’autorisation sollicitée le préfet de l’Aveyron aurait méconnu de telles exigences ;
Considérant enfin, que la méconnaissance par le titulaire d’une autorisation administrative, si elle est susceptible d’exposer son titulaire aux sanctions prévues par les lois et règlements, est par elle-même sans influence sur la légalité de cette autorisation qui, réserve faite du cas des installations classées pour la protection de l’environnement, doit s’apprécier en fonction de la situation de droit et de fait existant au jour de sa délivrance ;
que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’arrêté d’autorisation n’auraient pas été respectées par la société Cayrol-Fonkenell et Cie doit être écarté ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté en date du 28 novembre 1991 du préfet de l’Aveyron ;
DÉCIDÉ :
Article 1er : Le jugement en date du 9 mars 1995 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par l’Association "eau-espace-environnement", par M. Mommaton et par l’Association nationale de protection des salmonidés "truite-ombre-saumon" devant le tribunal administratif de Toulouse sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. Mommaton tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, à l’Association "eau-espace-environnement", à M. Mommaton, à l’Association nationale de protection des salmonidés "truite-ombre-saumon" et au préfet de l’Aveyron.
A défaut de la mention d’ une intervention prescrite à peine de nullité, un délai de procédure demeure purement indicatif et ne dessaisit pas l’ autorité administrative qui n’ aurait pas statué avant l’ expiration de ce délai. Le Conseil d’ Etat avait déjà tranché en ce sens en matière de police des installations classées (CE 9 juin 1995 M. et Mme TCHIJAKOFF, n° 127763) et de police de l’ eau (CE 7 octobre 1998 Association « Avignon-Transparence, n° 178967) et ce principe est désormais reconnu valable en matière de police de l’ énergie. Il en va de même pour les avis rendus dans le cadre de procédures ; s’ ils sont obligatoires, l’ administration n’ est pas tenue de s’ y conformer, sauf si cela est indiqué de manière expresse.