Extrait du rapport Dambrine - mars 2006
L’hydroélectricité est régie par la loi du 16 octobre 1919 qui dispose que la force motrice de l’eau est propriété de l’Etat. Dans ce cadre, les projets de centrales hydroélectriques sont soumis aux prescriptions de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique. L’article 1er de la loi dispose que « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et cours d’eau sans une concession ou une autorisation ». D’autres textes sont venus compléter et mettre à jour la loi de 1919, notamment la loi sur les économies d’énergie de 1980, la loi sur l’eau de 1992, et la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique.
1. Le corpus existant
a. La loi du 16 octobre 1919
Il existe trois régimes de titres juridiques d’autorisation/concession avec cahier des charges suivant la puissance de l’installation et sa date de création :
i. la concession pour les chutes de puissance maximale brute (PMB) supérieure ou égale à 4,5 MW.
Elle est octroyée par décret en Conseil d’Etat, sur rapport du ministre chargé de l’industrie, pour les installations dont la PMB est supérieure à 100 MW ou, par arrêté préfectoral si la PMB est comprise entre 4,5 et 100 MW. Un cahier des charges, annexé à la concession, précise les principales caractéristiques (cote de retenue, hauteur de chute, débit dérivé, débit réservé, puissance, etc.) et dispositions d’exploitation de la chute. Les biens de la concession, c’est-à-dire l’installation de production d’hydroélectricité avec ses machines, font retour à l’Etat en fin de concession. La concession est un contrat entre l’Etat concédant et le concessionnaire. Les procédures d’instruction sont définies par le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 modifié relatif à la concession et à la déclaration d’utilité publique des ouvrages utilisant l’énergie hydraulique. La loi sur l’eau de 1992 a introduit la notion de « règlement d’eau » : celui-ci est pris par le Préfet et est annexé à la concession. Il permet de préciser les modalités d’exploitation des ouvrages ;
ii. l’autorisation pour les chutes de PMB inférieure à 4,5 MW est octroyée par le préfet.
L’instruction est conduite par le service chargé de la police de l’eau : DDAF34, DDE35 ou service de la navigation. Un règlement d’eau définit les modalités d’exploitation de la chute.Les ouvrages sont la propriété privée du permissionnaire qui doit s’assurer de la maîtrise foncière des terrains. Les procédures sont définies par le décret n° 93-742 du 29 mars 1993 relatif aux procédures d’autorisation et de déclaration prévues au titre de l’article 10 de la loi sur l’eau n° 92-3 du 3 janvier 1992, modifié par le décret n° 95-1204 du 6 novembre 1995 relatif à l’autorisation des ouvrages utilisant l’énergie hydraulique ;
iii. les installations fondées en titre (souvent associées à d’anciens moulins) et les chutes de moins de 150 kW.
Les installations hydroélectriques disposant d’un droit fondé en titre et celles autorisées avant la publication de la loi du 16 octobre 1919 dont la puissance maximale brute est inférieure à 150 kW, peuvent être exploitées conformément à leur titre d’origine, sans modification ou limitation de durée autres que celles apportées à la demande de leur exploitant ou de l’État pour répondre aux obligations définies par le code de l’environnement.
b. La loi sur les économies d’énergie de 1980
La loi sur les économies d’énergie de 1980 (article 25) et la loi pêche de 1984 ont modifié l’article 2 de la loi de 1919. Sur certains cours d’eau et tronçons de cours d’eau, dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat, aucune autorisation ou concession nouvelle ne peut être donnée pour l’installation d’ouvrages hydroélectriques. Ce sont les « rivières réservées ». Cela entraîne, comme indiqué au chapitre précédent, une perte importante de potentiel de production.
c. La loi pêche de 1984
Elle prévoit des dispositions complémentaires encadrant les aménagements hydroélectriques, en particulier la fixation du débit réservé. Il s’agit du débit maintenu dans la portion de rivière « court-circuitée » par l’aménagement hydroélectrique qui dérive par ailleurs les eaux pour les turbiner à la centrale sous une hauteur de chute suffisante. Cette disposition prévue dès la loi de 1919, a vu sa valeur fixée à un seuil normatif minimal, à savoir le dixième du module (débit moyen interannuel de la rivière). L’impact de l’existence de ce débit en énergie perdue est estimé à 1,4 TWh, soit environ 2 % de la production hydroélectrique totale. Enfin, la loi a également renforcé les mesures pour assurer la circulation des poissons migrateurs sur les rivières classées par décret après avis des conseils généraux.
d. La directive cadre sur l’eau (DCE)
La Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, fixe des objectifs ambitieux de bon état ou de bon potentiel des eaux en 2015. La première étape de la démarche consiste en un classement des différentes « masses d’eau existantes » , en masses d’eau naturelles, masses d’eau fortement modifiées et masses d’eau artificielles.
Pour les masses d’eau naturelles, un objectif de bon état est fixé. Pour les masses d’eau fortement modifiées un objectif de bon potentiel est assigné. La directive a été transposée en droit français par la loi du 21 avril 2004. La première étape a été réalisée par le classement des différentes masses d’eau en France. La seconde étape est la préparation du plan de mesure qui doit commencer en 2009. Les objectifs de la directive cadre sur l’eau trouveront leur traduction dans les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) au niveau des bassins et les schémas de gestion des eaux (SAGE) au niveau des masses d’eau. Le projet de loi sur l’eau voté en première lecture au Sénat en 2005 prévoit de rendre ces documents opposables aux tiers et non plus seulement aux décisions de l’administration.
La directive cadre sur l’eau conduit à une approche fondamentalement différente dans la recherche d’une bonne qualité des eaux. Ne fixant pas de mesure a priori (par exemple la valeur du débit réservé), elle fixe des objectifs de résultat (par exemple le nombre des espèces présentes dans la rivière). De ce fait, les mesures à prendre sont à apprécier par leurs effets sur l’écologie des cours d’eau.
Toutefois, selon ses considérants, la directive cadre sur l’eau est fondée sur le principe du développement durable : par conséquent, les mesures qui seront prises en son nom devront trouver un juste équilibre avec les autres dimensions du développement durable (développement économique, progrès social) et avec les autres politiques communautaires dont, notamment, celles de l’énergie et de la promotion des énergies renouvelables.
Une gouvernance de la mise en oeuvre de la directive cadre sur l’eau est prévue par la directive elle-même. Des programmes de mesures doivent être mis en oeuvre dans chaque district (comité) de bassin dans une logique qualité de démarche de progrès.
2. Les évolutions récentes
Les installations hydroélectriques existantes sont sous le coup d’obligations annexes à la production d’électricité et soumises à des demandes complémentaires lors de chaque renouvellement, notamment en terme de mesures compensatoires (augmentation du débit laissé en continu dans la rivière, installation de dispositifs de franchissement pour les poissons, réduction de l’impact des ouvrages sur le milieu, notamment quand il s’agit d’usines fonctionnant par à-coups).
En fait, un débat s’est progressivement instauré sur les usages de l’eau qu’il convient de privilégier. Dans ce cadre, l’intérêt des aménagements hydroélectriques est de plus en plus mis en balance avec d’autres préoccupations (retour des cours d’eau à un état plus naturel, usages de l’eau aux fins propres de la politique de l’eau) qui ont tendu à devenir prioritaires devant la production d’hydroélectricité. Cela conduit à la réduction du productible des aménagements, voire à des demandes d’effacement (suppression) des barrages. Les dernières évolutions législatives tendent à définir une politique plus équilibrée de gestion de la ressource aquatique.
a. La loi du 13 juillet 2005
La loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations la politique énergétique prévoit à cet égard les dispositions suivantes pour l’hydroélectricité :
i. l’inscription dans le Code de l’environnement de la valorisation de l’eau pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable et la contribution de sa puissance modulable à la sécurité du système électrique (ajout à l’article L211-1 du code de l’environnement) ;
ii. la réalisation d’un bilan énergétique préalablement à la prise des actes administratifs relatifs à la gestion de la ressource en eau. Cela doit permettre de prendre en compte de façon plus équilibrée l’apport de l’eau énergie au développement des énergies renouvelables et à la préservation des milieux aquatiques ;
iii. une évaluation du potentiel hydraulique par zone géographique rendue publique par le ministre chargé de l’industrie. Chaque acteur de la politique de l’eau et de la politique de l’énergie disposera ainsi des données de référence sur cette énergie renouvelable ;
iv. la prise en compte de l’évaluation du potentiel hydroélectrique par les SDAGE39 et les SAGE40. Ces documents de gestion des eaux pourront ainsi mieux prendre en compte l’apport de l’eau énergie au développement des énergies renouvelables et à la lutte contre l’effet de serre ;
v. la possibilité d’accroître de 20 %, par rapport au titre existant, la puissance installée des centrales existantes sur simple déclaration ;
vi. la mise en oeuvre d’une procédure simplifiée pour la délivrance de l’autorisation de turbinage des débits réservés. Cette simplification s’applique également pour l’exploitation de l’énergie hydraulique des ouvrages construits initialement aux seules fins de régulation hydraulique.
b. L’évolution des règles environnementales (PLEMA)
Adopté en première lecture par le Sénat le 14 avril 2005, le Projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques (PLEMA) poursuit un objectif d’amélioration de l’écologie des milieux aquatiques. Il cherche à le concilier avec la préservation de la production hydroélectrique. Une des principales mesures actuellement prévues dans ce sens dans le projet de loi est de ramener la valeur du débit minimal laissé à l’aval des barrages fixé par la loi pêche de 1984, du 1/10ème du débit interannuel moyen du cours d’eau au 1/20ème pour :
les centrales dont la modulation est déterminante pour l’équilibre du système électrique ;
les rivières de module supérieur à 80 m3/s.
De plus, pour les cours d’eau ou sections de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique (par exemple sol karstique entraînant la disparition de l’eau, ruisseau dans pierrier de montagne, centrales enchaînées sans passage par un segment naturel de la rivière, etc.), le débit minimal peut-être fixé à une valeur inférieure.
Si elles sont confirmées après le vote définitif de la loi, ces dispositions pourraient réduire la perte d’électricité renouvelable en fonction de l’augmentation du débit réservé. Par ailleurs, le concept de « régime réservé » pour moduler, selon les saisons, le débit réservé, permettra de concentrer l’énergie sur les périodes de forte demande et, à l’inverse, d’accroître les débits sur les périodes de reproduction du poisson : il s’agit de donner plus de souplesse d’exploitation.
Le classement des rivières « réservées » devrait être revu sur des critères précis (aucun critère n’était prescrit par le cadre législatif actuel) :
« très bon état » au sens de la directive cadre sur l’eau (DCE)
protection absolue des poissons migrateurs ;
« réservoir biologique ». Ce troisième critère a été introduit par amendement. Il s’agit d’un nouveau concept qui devra être défini plus précisément.
La possibilité serait désormais offerte aux commissions locales de l’eau d’affecter des volumes d’eau dans le schéma d’aménagement et de gestion des eaux aux différents usages de l’eau. Les commissions locales de l’eau pourraient donc à l’avenir décider du volume affecté à l’hydroélectricité, au soutien d’étiage, aux activités touristiques, etc.
Le contexte réglementaire actuel est complexe. Il se veut le garant du respect de l’intérêt général et s’inscrit dans le cadre de l’accès du public à l’information dans le domaine de l’environnement. Il recherche un équilibre entre des préoccupations parfois antagonistes. Un suivi vigilant s’impose pour s’assurer que les possibilités de développement harmonieux de l’hydroélectricité sont bien prises en compte.
3. La gestion des concessions hydroélectriques par bassin versant
L’existence d’enchaînement d’ouvrages hydroélectriques sur de nombreuses rivières telles que la Durance, le Rhône, le Rhin ou la Dordogne soulève la question d’une éventuelle gestion coordonnée.
La gestion cordonnée des ouvrages hydrauliques permettrait en effet notamment de mobiliser très rapidement une puissance hydraulique conséquente. La chaîne de la Durance permet d’obtenir près de 2 000 MW en moins de 15 minutes. Cette contribution à l’équilibre du système électrique est très importante, notamment quand il s’agit d’attendre la montée en puissance de moyens thermiques de secours lors d’incidents sur d’autres moyens de production de forte puissance.
D’un point de vue environnemental, l’existence de bassins de retenues à l’amont de ces chaînes permet de disposer de réserves mobilisables, par le biais de conventions, pour les soutiens d’étiage ou l’irrigation, comme c’est le cas sur la chaîne de la Durance. Il convient d’étudier soigneusement, lors des renouvellements, la situation particulière à chaque bassin pour déterminer des stratégies de renouvellement des concessions cohérentes.
Il n’apparaît toutefois pas souhaitable de procéder à un regroupement a priori des concessions. En revanche, il importe de préciser les cas où une telle option s’impose pour permettre une gestion coordonnée de qualité. Il apparaît souhaitable qu’un recensement précis soit mené pour apprécier la pertinence de tels regroupements du point de vue énergétique.
4. Durée des concessions
La phase de construction du parc de production hydroélectrique tout au long du XXème siècle a nécessité d’importants investissements. Cette situation, associée au risque industriel qu’ont pris les électriciens à cette époque, a justifié des durées de concession longues allant jusqu’à 75 ans.
Le renouvellement de ces concessions s’est fait jusqu’à maintenant sur des durées plus courtes, de l’ordre de 40 ans. Par les incertitudes qu’il recèle encore, le contexte d’ouverture des marchés de l’énergie fait peser des risques nouveaux sur les opérateurs. Les renouvellements sont par ailleurs l’occasion de revoir les exigences de sécurité et les exigences environnementales. Ces nouvelles demandes occasionnent souvent des pertes de production électrique et nécessitent des investissements parfois lourds (ouvrages de franchissement pour les poissons migrateurs notamment). Dans ce contexte la durée de renouvellement des concessions doit être adaptée pour tenir compte de ces nouveaux investissements et constituer un signal incitatif pour l’investisseur.
De la même façon, la durée des nouvelles concessions dans le cadre du développement et de la création d’équipements neufs de production d’hydroélectricité devra être suffisamment longue.
En conclusion,
le développement de l’hydroélectricité s’inscrit dans un cadre législatif et réglementaire qui tente d’instaurer un nouvel équilibre entre intérêts énergétiques et environnementaux. Il convient toutefois de demeurer vigilant pour s’assurer que le caractère majeur de l’hydroélectricité au regard des objectifs de la politique énergétique est bien pris en compte dans les réflexions.
Cela suppose probablement que des orientations claires soient données aux services déconcentrés chargés des procédures d’autorisation. Parallèlement, la définition d’un cadre environnemental stable et justifié au regard des avantages attendus est nécessaire pour donner une visibilité aux investisseurs. La double question de la durée des concessions et de leur gestion coordonnée mérite aussi une réflexion approfondie.
36 Une installation fondée en titre est également qualifiée d’installation à existence légale. Il s’agit d’installation disposant de droits d’utilisation de l’eau hérités de l’ancien régime ou de la vente des biens nationaux. Le titulaire doit faire la preuve de ces droits. L’utilisation de ces seuls droits pour la chute l’exonère d’autorisation ou de concession. S’il souhaite augmenter la puissance de son installation, il doit alors faire une demande d’autorisation ou de concession pour la partie supplémentaire.
37 L’augmentation du débit réservé diminue la quantité d’eau utilisée par l’installation principale, donc l’électricité produite. On peut cependant installer une turbine permettant d’utiliser la force motrice de ce débit
réservé. La hauteur de chute ainsi créée est cependant inférieure à celle de l’usine principale et la récupération
de l’énergie n’est donc que partielle.