Débit réservé - Destruction de frayères
Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 25 janvier 2005
Rejet
Résumé du jugement
1) sur le débit réservé
l’arrêté préfectoral du 3 mars 1994 autorise la SARL Hydroforce du Haut Vivarais à exploiter la micro centrale sur la Deume avec un débit réservé de 260 l/s
les agents du CSP ont relevé, le 2 novembre 2000, que le débit réservé était nul
il est établi que cela est le résultat de travaux de démolition faits par des tiers en amont et "qu’en conséquence, les faits ne sauraient être imputés aux prévenus"
La fédération de pêche avance un autre motif : "alors qu’il résulte de l’article 5 de l’arrêté préfectoral du 3 mars 1994, autorisant l’exploitation d’une micro centrale électrique sur cette rivière, que le dispositif de prise du débit réservé dans la rivière devait être constitué par une échancrure dans la crête du barrage....n’a jamais été réalisée par la société Hydroforce du Haut Vivarais"
2) sur l’exécution de travaux dans le lit d’un cours d’eau sans autorisation préalable
Argument de la Fédération : "l’autorisation des travaux dans la rivière La Cance était notamment subordonnée à l’installation d’une passe à poissons, et à l’information préalable de la Fédération de l’Ardèche pour la pêche et la protection du milieu aquatique, ce qui démontre que le lieu prévu pour lesdits travaux constituait une zone de frayères ou, à tout le moins, une zone de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole" ...
mais " il ne ressort pas du dossier de la procédure un quelconque indice permettant d’étayer de manière certaine l’affirmation de la destruction de zones de frayères"
La cour confirme sur les deux points la relaxe prononcée par la cour d’appel
H.D.
Texte du jugement
(Jugement transmis grâce à l’amabilité de Me Sébastien Le Briéro, avocat à Paris à la SCP Huglo Lepage et conseil de l’ARF.)
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 432-5 et L. 432-8 du Code de l’environnement, 121-3 du Code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus du chef de non respect du débit réservé du cours d’eau la Deume, et a en conséquence débouté l’association La Gaule Annonéenne et la Fédération de l’Ardèche pour la pêche et la protection du milieu aquatique, parties civiles, de leurs demandes de dommages-intérêts ;
"aux motifs que, sur le non-respect du débit réservé du cours d’eau la Deume : l’arrêté préfectoral du 3 mars 1994, qui autorise la SARL Hydroforce du Haut Vivarais à exploiter la micro centrale sur la Deume, prévoit, en son article 3, que le débit maintenu dans la rivière, immédiatement en aval de la prise d’eau, ne devra pas être inférieur à 260 litres par seconde ; que l’article L. 432-5 du Code de l’environnement dispose que l’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d’eau le débit minimal ;
que les agents du CSP ont relevé, le 2 novembre 2000, que le débit réservé était nul ;
que cependant, il convient de remarquer que, dès le début de l’enquête, Jean Y... a déclaré que si le débit réservé n’était plus respecté, c’était en raison des travaux effectués en amont par la société Molina, anciennement Rhône Alpes TP, pour le compte de la mairie d’Annonay, travaux qui ont entraîné la chute de gros blocs de pierre dans le canal, obstruant ainsi l’orifice du débit réservé et endommageant les vannes permettant le nettoyage de ce débit ; que le prévenu a ajouté, devant les enquêteurs, qu’il en avait informé la mairie sans obtenir de réponse et que l’entreprise Molina avait démonté le mécanisme de la vanne pour le réparer mais ne l’avait toujours pas remis en place ;
que ses déclarations sont corroborées tant par le témoignage de Jean-Claude Z..., directeur de la société Rhone Alpes TP, lorsque ce dernier reconnaît que c’est bien son personnel qui, lors des travaux de démolition d’un immeuble, a endommagé une vanne dont il a pris entièrement en charge la réparation, que par celui de Michel A..., ingénieur à la mairie d’Annonay, lorsque celui-ci, tout en confirmant la responsabilité de la société Molina, dans la détérioration de la vanne, et l’engagement de celle-ci à réparer, précise que "cette vanne ayant été inopérante, toute l’eau a été dirigée sur la centrale de Jean Y..., nuisant ainsi au débit d’eau dans la rivière, sur un tronçon de 150 m environ" ;
que Michel A... conclut même son témoignage en précisant que "tout rentrera dans l’ordre lorsque la vanne sera remise en service, ce qui ne saurait tarder" ;
qu’il ressort ainsi de ces auditions, que le blocage de la vanne et l’obstruction de l’orifice du débit réservé ne résultent pas d’un défaut d’entretien imputable à la SARL, mais ont été causés par les blocs de rochers tombés dans le canal, à la suite de la destruction de l’immeuble par l’entreprise mandatée par la mairie d’Annonay ;
qu’au demeurant, si Jean Y... n’a écrit par lettre recommandée à celle-ci que le 17 novembre 2000, pour l’informer de la situation concernant les dégâts et les retards dans les réparations, il a toutefois consulté une entreprise de chaudronnerie dès le 26 septembre 2000 pour faire établir un devis de réparation de la vanne, versé au dossier de la procédure ;
qu’en outre, les déclarations du directeur de la société Molina, qui affirme devant les enquêteurs, le 27 novembre 2000, que les pièces de la vanne sont presque finies d’être réparées, tendent également à démontrer que Jean Y... est effectivement entré en contact, ainsi qu’il le prétend, avec cette entreprise, à propos des réparations et de la prise en charge des frais ;
que dans deux courriers adressés à la DDAF le 6 décembre 2000 et le 27 février 2001, Jean Y... explique à l’administration qu’il avait, pour pallier le problème du débit réservé, préféré à l’ouverture de la vanne aval trop fragile et ancienne, la création d’un débit par débordement qui s’était lui-même très vite obstrué, "une quantité importante de bois de charpente étant tombée dans la rivière" à la suite des travaux ;
que le prévenu fait valoir que c’est la mise en place de ce substitut, moins performant que le système endommagé, qui justifie qu’un débit réservé, certes faible mais existant, ait été constaté dans le second PV des gardes-pêche quelque temps après ;
qu’ainsi, il apparaît manifeste que les conséquences de la démolition de l’immeuble par la société Molina ont non seulement empêché le respect du débit minimal, mais également rendu difficile la mise en oeuvre de moyens provisoires ;
qu’en conséquence, les faits ne sauraient être imputés aux prévenus ;
que pour le surplus, concernant le dispositif empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d’entrée et de fuite exigé par l’arrêté et l’article L. 432-5, alinéa 1er, du Code de l’environnement et constaté comme inexistant par les agents du CSP, que si les prévenus illustrent, par le biais de clichés, la présence d’une grille à l’entrée de la chambre d’eau, ils démontrent également avoir accompli de nombreuses démarches tendant notamment à faire reconnaître, par l’administration, que la réalisation d’une échelle à poissons, ainsi qu’exigée par l’arrêté du 3 mars 1994, n’est pas nécessaire, démarches qui se sont révélées fructueuses en ce qu’elles ont donné lieu à un nouvel arrêté du 23 septembre 2003 qui, en son article 7, énonce que cette échelle n’est plus prescrite ;
que dès lors, et eu égard à l’ensemble de ces éléments, le jugement qui a retenu à tort la SARL Hydroforce du Haut Vivarais et Jean Y... dans les liens de la prévention sur ces points sera infirmé (arrêt, pages 7 à 9) ;
"alors qu’il résulte de l’article 5 de l’arrêté préfectoral du 3 mars 1994, autorisant l’exploitation d’une micro centrale électrique sur cette rivière, que le dispositif de prise du débit réservé dans la rivière devait être constitué par une échancrure dans la crête du barrage, de 0,30 m de profondeur sur 1 m de longueur ;
qu’il résulte, par ailleurs, tant du procès-verbal d’infraction du 10 novembre 2000 et des photographies y annexées, que des motifs du jugement de condamnation, que l’échancrure dans la crête du barrage qui - indépendamment des dommages causés à la vanne de la centrale, consécutifs aux travaux entrepris par la société Molina - aurait permis d’assurer le respect d’un débit réservé suffisant en aval de la centrale, n’a jamais été réalisée par la société Hydroforce du Haut Vivarais ;
que, dès lors, en se bornant à énoncer que les travaux entrepris par la société Molina avaient endommagé la vanne permettant le maintien du débit réservé et qu’aucune négligence ne pouvait être reprochée aux prévenus puisque ceux-ci avaient entrepris toutes les démarches nécessaires pour faire réparer la vanne litigieuse, sans rechercher si la négligence desdits prévenus ne résultait pas, à tout le moins, du fait d’avoir refusé de réaliser, dans la crête du barrage, l’échancrure devant permettre d’assurer le respect du débit réservé, la cour d’appel, qui s’est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L 432-3 et L 432-4 du Code de l’environnement, 121-3 du Code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus du chef d’exécution de travaux dans le lit d’un cours d’eau (la Cance) sans autorisation préalable, et a, en conséquence, débouté l’association La Gaule Annonéenne et la Fédération de l’Ardèche pour la pêche et la protection du milieu aquatique, parties civiles, de leurs demandes de dommages-intérêts ;
"aux motifs que,
sur le défaut d’autorisation préalable à l’exécution de travaux dans le lit du cours d’eau la Cance :
que, courant 2000, la SARL Hydroforce du Haut Vivarais a fait l’acquisition de la micro centrale située sur le site de Pantu ;
que l’ancienne propriétaire, Mme X..., avait auparavant sollicité, auprès de la DDAF, par courrier du 15 décembre 1999, l’autorisation de réaliser des travaux dans le cours d’eau la "Cance", autorisation qui a lui a été accordée le 11 février 2000 ;
que la SARL Hydroforce du Haut Vivarais indiquait à cette même administration, par courrier du 6 mai 2000, qu’elle souhaitait le démarrage des travaux à la date du 1er juin 2000, et que soit inclus, dans ce permis, des travaux de curage nécessaires, selon la SARL, à la remise en état de l’installation ;
qu’il n’est à aucun moment démontré que le volume de matériaux retiré, pour ces opérations de curage, soit supérieur à 5 000 m3 ;
que le seul examen des clichés ne saurait à lui seul permettre d’estimer si ce volume excède cette limite et d’affirmer que le régime déclaratif ne s’applique pas ;
qu’il ne ressort pas du dossier de la procédure un quelconque indice permettant d’étayer de manière certaine l’affirmation de la destruction de zones de frayères ;
qu’au contraire, le fait pour l’autorisation, délivrée le 11 février 2000, de ne pas prévoir de mentions spéciales concernant lesdites zones, ni de mesures compensatoires, telles qu’évoquées à l’article L. 432-3 du Code de l’environnement, ainsi que le long silence de la DDAF qui s’est finalement manifestée plus de 10 mois après le début annoncé des travaux et ce à la suite d’une simple tournée de surveillance, tendant plutôt à laisser penser qu’il y avait peu de risque pour l’écosystème aquatique ;
qu’en outre, ce constat est conforté par les différentes pièces, versées au dossier par les prévenus, qui montrent que la partie du cours d’eau concernée par lesdits travaux est répertoriée dans la catégorie "hors classe-pollution très importante", les zones de frayères se situant plus en amont de la confluence Cance/Deume ;
qu’en conséquence, l’infraction n’étant pas constituée, il y a lieu d’infirmer également le jugement en ce qu’il a reconnu les prévenus coupables de ce chef (arrêt, pages 7 à 10) ;
"alors qu’il résulte de la décision prise le 11 février 2000 par le préfet de l’Ardèche que l’autorisation des travaux dans la rivière La Cance était notamment subordonnée à l’installation d’une passe à poissons, et à l’information préalable de la Fédération de l’Ardèche pour la pêche et la protection du milieu aquatique, ce qui démontre que le lieu prévu pour lesdits travaux constituait une zone de frayères ou, à tout le moins, une zone de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole ;
que, dès lors, en estimant qu’il ne résultait pas du dossier de la procédure un quelconque indice permettant d’étayer de manière certaine l’affirmation de la destruction de zones de frayères, la cour d’appel, qui a dénaturé par omission l’autorisation préfectorale du 11 février 2000, a entaché sa décision d’une contradiction de motifs" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n’était pas rapportée à la charge des prévenus, en l’état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant les parties civiles de leurs prétentions ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;