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Publié : 8 mars 2013

Le vieux moulin (poème)

LE VIEUX MOULIN

Bien avant que sonne l’Angélus du matin,

Je suis parti au hasard à travers les chemins.

La journée s’annonçait belle,

C’était le début du printemps.

Le coq de bonne heure avait réveillé le mitron

Et déjà sur la place du petit bourg, le pain sentait bon.

Le soleil avec une extrême lenteur

Emergeait de la nuit qui s’effaçait doucement.

Les bergers, musettes en bandoulière,

Commençaient à sortir de leur chaumière

Et les maigres troupeaux grimpaient

Les pentes arides de la colline.

Les clochettes et les chiens aux abois n’ont pas réveillé

Le petit village qui dort encore.

Sur l’autre versant de la colline, au fond du vallon,

Des rayons d’or glissent sur la brume et la fait fondre.

La rivière roule ses eaux limpides

Près d’un vieux moulin solitaire

Tout enveloppé d’un doux feuillage vert.

Le meunier ne réapparaîtra plus,

Il est mort cet hiver.

Il a laissé dans sa demeure centenaire,

Tout l’ouvrage de sa vie.

Quelle insupportable tristesse !

Même le vallon en émoi, semble ne pas comprendre,

Ces mortelles douleurs.

Un voile de brume a caché

Quelques instants le soleil, en signe de deuil.

Les oiseaux effarouchés se sont arrêtés de chanter.

Le vent à travers les branches gémit

Pour épancher sa souffrance.

La rosée, sur l’aubépine rose

A versé ses larmes de cristal étincelantes,

Et l’abeille immobile, étreint avec tristesse

La fleur d’églantine qui rougit.

C’est un hommage au meunier, puisque son cœur ne bat plus.

Soudain, un effluve d’amour s’exhale de la vallée

Pour faire revivre avec un légitime orgueil,

Ce rustique héritage.

La lumière se glisse à nouveau à travers les ramures,

Le deuil est fini, tout semble revivre

L’entrain est sans pareil :

La rivière abreuve la vieille roue du moulin,

La spirée embaume les vapeurs d’eau,

Le thym et l’églantier prodiguent à nouveau leur arôme,

Le zéphyr dérobe les parfums qui se fondent

Dans l‘air pur et frais du matin.

Les oiseaux en quête de pâture,

Cherchent partout le froment qui a disparu ;

Les pinsons espiègles échangent quelques notes joyeuses

Et les merles qui picotent les baies,

Murmurent malicieusement leurs secrets.

Que de choses merveilleuses entourent

Encore ce moulin maintenant abandonné.

La métempsycose du vertueux meunier,

S’est arraché sans nul doute, à la mort.

C’est l’instant suprême où son âme

Nous charme et nous séduit encore.

Doux fantôme errant, vient et saisi mon cœur

Avide de tous les souvenirs du passé.

Eveille en moi, le chant solennel et éternel

De ce moulin encore plein de gloire et de sagesse.

Je pense à cet instant, aux absents,

A ces hommes de la glèbe,

Au cœur fort et fière, si doux au malheur

Qui apportaient ici, le grain à moudre.

Le vieux moulin ponctuait pour eux

De brefs intermèdes de douceur et de joie

Dans le rythme des tâches harassantes de tous les jours.

Alors autour de quelques chopines de vin acide,

En attendant leur tour pour écraser le grain,

Ils dépeçaient les nouvelles que chacun apportait,

Heureux de se sentir délivrés un instant, du fardeau quotidien.

Une vieille croix coiffe le sommet de la toiture

Capitonnée de mousse chaude.

Les lichens roux ont colorés la façade de pierres.

Des guirlandes de lierre courent sur les murs

Où nichent les lézards et les moineaux.

C’est presque un décor de fête

Tellement la poésie est douce.

Mais toutes ces belles choses

Ont, en elles aussi, leurs larmes et leurs misères.

Mais qui s’en souvient encore ?

La peine des morts, la tristesse des vivants

Sont pourtant gravées à jamais sur ce décor

Qui affecte le promeneur, lorsqu’il retrouve

Ici, la mémoire incrustée de ces hommes.

Le meunier et les ouvriers de la glèbe

Se sont acharnés à leur rude besogne.

Ils avaient l’orgueil de leur beau métier.

Aujourd’hui, l’attrait de ce haut lieu de culture,

N’est pas dû au hasard ;

Ici, ce silence, ce calme enivrant

N’ont rien de monotone, car cette masure solitaire

Est devenue un temple de gloire

Maintenant que l’on a brisé son essor.

Les oiseaux, les papillons, la fourmi ou le hérisson

Le gardent ensemble avec un affectueux

Respect qui l’entoure d’honneur.

Que d’effort a-t-il fallu faire pour monter

Ces murs centenaires, au fond de cette vallée profonde

Que d’effort a-t-il fallu faire

Pour arracher à ce vallon, un tout petit morceau de pain.

J’imagine et je revois pêle-mêle, cette vie de misère,

Mélangeant les saisons, les jours et les nuits

Sans rime ni raison.

Il me semble entendre encore ces hommes

Trinquant un dernier verre, goûtant au philtre

D’amour apaisant leur fatigue et leur colère.

J’entends leurs sabots remplis de paille,

Amorcer une bourrée, frappant dans leurs mains

Pour ponctuer la cadence et leurs chansons.

Je suis resté là, la journée entière

A goûter ce passé pauvre, mais merveilleux.

Ce géant de cette vallée sublime

N’en méritait pas moins.

Et puis pour me tirer de mon rêve,

La brise errante me caressa le visage

Avec la douceur d’un baiser, pour essuyer mes larmes.

O indicible beauté, dévorée par tant de tristesse,

Pourquoi ce dédain muet pour tant d’ouvrage accompli,

Ce moulin n’ était-il pas généreux à ses heures de gloire ?

Alors, quelle ingratitude secoue aujourd’hui notre mémoire.

Que le temps passe vite,

Que la mort est prompte

C’est bien là, ma seule réponse !

Au loin, poursuivant sa route immuable,

Le soleil s’enroule à nouveau autour de la terre,

Laissant derrière lui quelques effluves d’or

Qui inondent l’horizon, témoin de lendemains meilleurs.

La vallée aux multiples couleurs, redevient sombre,

La brume s’allonge à nouveau sur cette envoûtante rivière ;

Tous les oiseaux se sont tus.

L’abeille est retournée à la ruche,

Les églantiers ont refermé leurs pétales de roses.

Au loin, l’angélus appelle une dernière fois à la prière,

Et déjà un croissant de lune émerge à nouveau.

Cette métamorphose si calme, si douce

Près de ce temple sacré qui s’endort

Abreuvera longtemps encore, les regards dolents

Et plus d’un doigt furtif, j’en suis sûr,

Dérobera encore une larme de sagesse

En écoutant chanter à nouveau

L’éternel épithalame de ces beaux réveils matins.

Alors, mes espérances ne seront pas vaines,

Un jour, malgré ses blessures, le moulin renaîtra.

D’après Monsieur Georges COMTE

Avec nos remerciements