Conseil d’ État -11 avril 2008
Considérant qu’ il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par arrêté du 25 avril 1997, le préfet de l’ Aude, se substituant au maire de Saint-Julia-de-Bec, en application des dispositions des articles L. 2212マ1, L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, a ordonné la fermeture définitive du camping « Le Moulin du Roc », situé sur le territoire de cette commune et au bord de la rivière Le Bec, en raison du risque d’ inondation brutale et de l’ absence de possibilité d’ évacuation en cas de réalisation de ce risque ;
que la SCI MOULIN DU ROC, propriétaire du terrain, la SARL HYDRA FRANCE, exploitante du camping et de l’ auberge sis sur ce terrain, ainsi que les consorts A, propriétaires et dirigeants de ces deux sociétés ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune à réparer les préjudices résultant pour eux de la fermeture du camping ;
que le tribunal administratif a condamné la commune à verser à la SARL HYDRA FRANCE une somme de 45 734,71 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de valeur du fonds de commerce mais a rejeté les autres conclusions indemnitaires qui lui étaient présentées ;
que, saisie par les sociétés précitées et les consorts A, ainsi que par la commune de Saint-Julia-de-Bec, la cour administrative d’ appel de Marseille a accueilli l’ appel de la commune, annulé le jugement et rejeté les conclusions indemnitaires par un arrêt contre lequel la SCI MOULIN DU ROC, la SARL HYDRA FRANCE et les consorts A se pourvoient en cassation ;
Sans qu’ il soit besoin d’ examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’ il résulte des principes qui gouvernent l’ engagement de la responsabilité sans faute de l’ Etat que le silence d’ une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ;
qu’ ainsi, même en l’ absence de dispositions le prévoyant expressément, l’ exploitant d’ une installation dont la fermeture a été ordonnée sur le fondement des pouvoirs de police dévolus au maire par le 5° de l’ article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales pour prévenir les conséquences d’ éventuelles inondations, est fondé à demander l’ indemnisation du dommage qu’ il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l’ intéressé ;
qu’ il suit de là qu’ en jugeant que la seule circonstance que l’ arrêté préfectoral ordonnant la fermeture du camping poursuivait un but de sécurité publique suffisait à exclure l’ engagement de la responsabilité sans faute de l’ autorité de police, la cour administrative d’ appel a commis une erreur de droit et que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l’ espèce, il y a lieu, en application de l’ article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’ affaire au fond ;
Sur les conclusions de la commune de Saint-Julia-de-Bec dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier accordant une indemnité à la SARL HYDRA FRANCE :
Sur la responsabilité de la commune :
Considérant que si la commune fait valoir que la fermeture du camping était motivée par la protection de la sécurité publique, une telle circonstance ne suffit pas à exclure l’ engagement de la responsabilité sans faute de l’ autorité de police ;
Considérant qu’ il résulte de l’ instruction que la SARL HYDRA FRANCE a acheté le fonds de commerce du camping du Moulin du Roc antérieurement aux inondations de septembre 1992, qui ont révélé le caractère inondable de la zone ;
que cette dernière circonstance n’ est pas par elleマmême de nature à engager la responsabilité sans faute de l’ autorité de police, alors même qu’ antérieurement l’ activité de camping sur le site avait été légalement autorisée depuis un arrêté du 27 juin 1978 du préfet de l’ Aude ;
que, toutefois, la reprise de l’ activité n’ a pas été remise en cause après les inondations par l’ autorité administrative ;
que la commission départementale de sécurité a au contraire rendu, le 24 mai 1994, un avis favorable à la reprise de l’ activité, sous réserve de travaux complémentaires relatifs pour l’ essentiel à la sécurité contre le risque d’ incendie ;
que ces travaux ont été engagés et réalisés par les propriétaires, pour permettre la réouverture du camping au public ;
que l’ administration, qui avait ainsi participé à l’ évaluation du risque et à la définition de ces travaux, a décidé, postérieurement, sans que soit survenue aucune circonstance extérieure nouvelle, de renforcer le niveau de précaution et de prévention du risque d’ inondation, à la suite d’ un avis cette fois défavorable à la reprise d’ activité du camping, émis par la commission de sécurité le 10 juillet 1996, en ordonnant, par un arrêté du 25 avril 1997, sa fermeture ;
que cette décision, qui a pour origine une évolution en l’ espèce non fautive dans l’ appréciation du risque et des précautions qu’ il appelle, emporte des conséquences qui doivent être regardées dans cette mesure, comme ayant constitué un aléa excédant ceux que comporte nécessairement une telle exploitation et comme emportant pour les requérants, qui ont réalisé des travaux inutiles, des conséquences génératrices d’ un préjudice anormal et spécial justifiant l’ engagement de la responsabilité sans faute de l’ autorité de police ;
Sur la réparation du préjudice :
Sur le préjudice subi par la SARL HYDRA FRANCE : Considérant que la SARL HYDRA FRANCE invoque le préjudice résultant de la perte de valeur du fonds de commerce, qu’ elle a acquis antérieurement aux inondations de septembre 1992, fixée par le tribunal à 45 734,71 euros, et la perte de divers travaux et acquisitions qu’ elle a effectués sur le terrain et les bâtiments postérieurement à ces inondations ;
que si la perte de valeur du fonds de commerce de la SARL HYDRA FRANCE trouve sa cause directe et exclusive dans la révélation dès 1992 du risque d’ inondation et si, par suite, aucune indemnisation ne peut lui être accordée à ce titre, en revanche elle est fondée à demander réparation à la commune du préjudice constitué par le montant des travaux qu’ elle a engagés inutilement postérieurement aux inondations de 1992 pour améliorer la sécurité du camping et dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre une indemnité de 60 000 euros ;
Sur le préjudice subi par la SCI MOULIN DU ROC et les consorts A : Considérant que la SCI MOULIN DU ROC demande la réparation du préjudice résultant de la perte de valeur du terrain et des biens immobiliers dont elle est propriétaire dans cette zone inondable, du fait de la fermeture du camping ;
que, comme l’ a jugé le tribunal administratif de Montpellier, ce préjudice qui, tel qu’ il est justifié par les demandeurs, découle de l’ apparition en 1992 du risque d’ inondation, ne peut être regardé comme ayant un lien direct avec la fermeture administrative du camping ;
Considérant que les consorts A demandent réparation des préjudices de toute nature qu’ ils ont subis, et notamment des pertes de valeur des parts qu’ ils détenaient dans la SARL HYDRA FRANCE, de leurs sources de revenus et des troubles dans les conditions d’ existence après la fermeture du camping ;
qu’ il résulte de ce qui précède que les parts détenues dans ces sociétés ont perdu leur valeur du fait du risque d’ inondation révélé en 1992 ;
que, par suite, en l’ absence d’ autres justifications de ce chef de préjudice ces conclusions doivent être rejetées ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens : Considérant que si, dans leurs dernières écritures, les requérants demandent que soit mise à la charge de l’ Etat une somme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens, les dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’ une quelconque somme soit mise à la charge de l’ Etat, qui n’ est pas la partie perdante dans la présente instance, le préfet s’ étant substitué au maire en application des dispositions du code général des collectivités territoriales ; que, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge des consorts A les sommes que demande la commune de Saint-Julia-de-Bec ; qu’ il y a lieu, dans les circonstances de l’ espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Julia-deマBec, au titre de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 3 000 euros à verser à la SARL HYDRA FRANCE à la SCI MOULIN DU ROC, et aux consorts A, au titre des frais exposés par eux tant en première instance et en appel que devant le Conseil d’ Etat ;
D E C I D E : -------------- Article 1er : L’ arrêt de la cour administrative d’ appel de Marseille du 24 octobre 2005 est annulé. Article 2 : La commune de Saint-Julia-de-Bec versera à la SARL HYDRA FRANCE une somme de 60 000 euros. Article 3 : L’ article 1er du jugement du 22 décembre 2003 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu’ il a de contraire à la présente décision. Article 4 : La commune de Saint-Julia de Bec versera à la SARL HYDRA FRANCE, à la SCI MOULIN DU ROC et aux consorts A une somme globale de 3 000 euros en application de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Les conclusions de la commune de Saint-Julia-de-Bec tendant à l’ application de l’ article L. 761-1 sont rejetées. Article 6 : Le surplus des conclusions de la SARL HYDRA FRANCE, de la SCI MOULIN DU ROC, des consorts A et de la commune de SaintマJulia-de-Bec est rejeté. Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SCI DU MOULIN DU ROC, à la SARL HYDRA France, à MM. Christopher et Angus A, à Mmes Barbara et Kimbali A, à la commune de Saint-Julia-de-Bec, et à la ministre de l’ intérieur, de l’ outre-mer et des collectivités territoriales.