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Publié : 11 janvier 2013

Les usagers des cours d’eau non domaniaux à l’épreuve de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992

Par Xavier LARROUY-CASTERA
Avocat à la Cour d’Appel de Toulouse
Spécialiste en Droit de l’Environnement

Préambule

Les cours d’eau non domaniaux, c’est un linéaire d’environ 270 000 kilomètres, dont le lit est propriété de plusieurs centaines de milliers de riverains.

Ils se distinguent des cours d’eau domaniaux, autrefois déterminés par leur caractère navigable et flottable et dont la qualification résulte aujourd’hui d’un simple classement.

Si la définition des cours d’eau domaniaux est relativement précise, celle des cours d’eau non domaniaux ne l’est pas. Le législateur n’a jamais donné de définition juridique du cours d’eau lui-même et on continue à assimiler aux cours d’eau non domaniaux, les ruisseaux, les torrents, les petites rivières, expressions autrefois bien répandues.

La doctrine et la jurisprudence ont tenté de définir ce qu’était un cours d’eau non domanial. On a retenu généralement trois critères servant à le déterminer.

  • On exige avant tout un cours d’eau défini en principe par la permanence du lit. Ainsi, par exemple, il a été considéré que le cours d’eau qui reçoit seulement de façon intermittente les eaux pluviales ou de fonte des neiges du bassin versant ne constitue pas un cours d’eau non domanial (CAA Lyon 7 déc. 1989, Mutuelle Assurance des Instituteurs de France).
  • Il faut ensuite que le cours d’eau soit naturel ; ce second critère n’est pas toujours facile à apprécier. Mais on ne peut en tout état de cause considérer comme un cours d’eau non domanial un simple canal creusé dans un intérêt privé et constituant une dérivation usinière (Cons. d’Etat 26 janvier 1972, Comont : Lebon, p. 81).
  • Enfin, le cours d’eau doit être d’un débit suffisant, critère apprécié au cas par cas, en fonction des données climatiques et hydrauliques.

Mais ce n’est pas dans sa définition que le cours d’eau non domanial suscite le plus d’interrogations.

Les cours d’eaux non domaniaux sont l’objet de multiples convoitises, de nombreux usages parfois concurrents, souvent contradictoires : l’agriculteur s’en servira pour irriguer ses champs, les pêcheurs et pratiquants de sports d’eaux vives pour s’adonner à leurs plaisirs et c’est ainsi qu’autour du cours d’eau risque de se cristalliser de nombreuses tensions.

Alors que les usages du cours d’eau se diversifient, une première constatation s’impose : le riverain du cours d’eau non domanial continue, parmi tous les usagers, d’occuper une place privilégiée (I).

La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 prend soin de préciser en son article 1er que l’usage de l’eau s’effectue selon "les droits antérieurement établis".

Cependant, cette première remarque doit tout aussitôt être fortement nuancée. Si, dans son principe, la loi sur l’eau ne remet pas en cause les droits de riveraineté, en revanche et en pratique, ces droits, dans leur exercice, risquent d’être réduits de façon significative, dés lors que la loi du 3 janvier 1992 proclame de façon solennelle que "l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation" et que "l’usage de l’eau appartient à tous" (II).

I .- L’absence de remise en cause des droits de riveraineté dans leur principe

Sur les cours d’eau non domaniaux, la qualité de riverain confère au maître du fonds un droit de propriété et des droits d’usages. En contrepartie de ces droits, le riverain est tenu à certaines obligations.

A.- Droit de propriété et droits d’usages

1.- La propriété

Le riverain, selon les dispositions du Code rural, est propriétaire du lit, des alluvions, des relais et des îlots qui se forment dans les cours d’eau. La propriété du lit a été admise par la loi de 1898 et jamais remise en cause. Propriété pleine et entière , le titulaire est soumis à l’impôt foncier ; il peut disposer du lit et notamment extraire des matériaux. Il peut se clore mais on lui dénie en revanche l’action en bornage.

En cas de pluralité de riverains, l’article 98 du Code rural prévoit un partage du lit par moitié "suivant une ligne que l’on suppose tracée au milieu du cours d’eau".

La ligne médiane séparative des eaux n’est pas toujours facile à déterminer. Les tribunaux de l’ordre judiciaire, seuls compétents pour régler les litiges nés de la détermination de la ligne de démarcation, connaissent assez souvent de ces questions.

Abandon et changement de lit. La propriété des rivières est cependant d’une qualité particulière. S’agissant du cours d’eau lui-même, elle est impensable, mais s’agissant du lit, elle est loin de présenter les caractères de la permanence que l’on attache souvent à la propriété. La nature ne se laisse pas enfermer aisément par le droit. La rivière n’est pas une unité physique fixe ; l’eau se déplace, soit de façon accidentelle, soit de façon naturelle, brusquement ou imperceptiblement.

Quoiqu’il en soit, le lit peut être amené à se déplacer et avec ce déplacement les droits des propriétaires riverains se trouvent modifiés. Abandon ou changement du lit d’un cours d’eau sont des réalités physiques dont le droit doit tenir compte.

Ainsi, lorsqu’un cours d’eau non domanial abandonne son lit, chaque riverain reprend la disposition de son bien. Toutefois, si l’abandon du lit est un phénomène naturel, les riverains anciens et nouveaux ont un délai de 1 an pour user de la faculté de rétablir le cours d’eau dans son lit primitif. En revanche, si cet abandon résulte de travaux publics, les anciens riverains privés d’eau ne peuvent qu’intenter une action en réparation de dommages de travaux publics. Le droit de propriété est perdu et les maîtres des fonds qui ont été immergés (les nouveaux riverains) ont droit à une indemnité à titre de servitude de passage.

2.- Les usages

L’exercice des droits d’usage. Les droits d’usages sont déterminés par les articles 644 du Code civil et 97 du Code rural - ce dernier modifié par la loi du 3 janvier 1992. Le Code civil mentionnait exclusivement l’irrigation ; par la suite les usages ont été étendus plus largement à l’ensemble des usages agricoles, puis à des usages industriels.

Le riverain peut, tout d’abord, utiliser l’eau pour son usage personnel et domestique. Il a le droit de circuler librement sur la rivière ; il possède aussi le droit de pêche, sous réserve de se conformer à la police de la pêche ; il peut également extraire, dans la part du lit qui lui appartient, tous les produits naturels, sables et pierres, à la double condition de ne pas modifier le régime des eaux et d’en exécuter le curage (A noter cependant que de tels travaux d’extraction, si les matériaux extraits sont employés dans la construction ou à toute autre fin lucrative, sont considérés comme une exploitation de carrière subordonnée au respect de la législation sur les installations classées).

Il a la faculté de céder son droit, la jurisprudence, déjà ancienne et constante, n’a pas varié.

Limites aux droits d’usages. Tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la question s’était posée de savoir quelle limite devait-on mettre à ce droit d’usages. La question pouvait se résumer ainsi : le propriétaire riverain supérieur peut-il absorber toute l’eau et priver ainsi les riverains inférieurs de leur droit d’usage de cette même eau ?

Certaines décisions ont admis un droit d’usage quasi absolu de l’utilisateur ; les tribunaux judiciaires, seuls compétents pour trancher les litiges d’ordre privé entre les riverains, ayant un large pouvoir d’appréciation, l’article 645 du Code civil leur fait simplement obligation en cas de conflit, de " concilier l’intérêt de l’agriculture avec le respect dû à la propriété ". La jurisprudence alors va en tout sens.

On doit cependant admettre de manière générale, que l’eau doit être restituée afin que les autres riverains puissent en jouir normalement.

Les restrictions sont encore plus grandes depuis la loi pêche de 1984, qui considère que la préservation du milieu aquatique est d’intérêt général (C. rur. art. L. 230-1).

La loi du 3 janvier 1992 en fait une priorité. Il faudra donc désormais concilier l’application de l’article 644 et 645 du Code civil, avec les nouvelles mesures prises par la loi sur l’eau, au premier rang desquelles figure " la protection, la mise en valeur et le développement de la ressource hydraulique " (art. 1).

B. - Les devoirs

1.-Les travaux de curage - généralités

Le curage consiste à extraire du lit les envasements, dépôts et autres matières qui s’y sont accumulés.

Depuis la loi Barnier du 2 février 1995, il est fait formellement obligation au riverain de curer régulièrement le lit, d’entretenir la rive par élagage et recépage de la végétation arborée et d’enlever les embâcles et débris, ceci afin non seulement de maintenir l’écoulement naturel des eaux mais aussi d’assurer la bonne tenue des berges et de préserver la faune et la flore dans le respect du bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques.

2.- L’exécution des travaux

Les travaux incombant aux riverains, il y est pourvu :

  • dans le cadre des anciens usages et règlements locaux (art. 115 du Code rural),
  • à défaut en constituant une association syndicale de propriétaires autorisée,
  • ou en cas d’impossibilité par une association constituée d’office (association forcée) aux termes de l’article 116 du Code rural. Le préfet est chargé d’assurer la police. Il peut par arrêté spécial et temporaire, prescrire l’exécution d’office du curage. L’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier la nécessité de tels travaux. Elle apprécie les mesures utiles. Elle décide également s’il y a lieu de donner suite aux demandes ou réclamations émanant d’un particulier et elle peut différer les travaux si le motif allégué est d’intérêt général.

Son abstention ne pourrait engager la responsabilité de l’Etat que sur la base d’une faute lourde : c’est le cas lorsque les dispositions nécessaires n’ont pas été prises "alors qu’une crue importante avait eu lieu un an auparavant, et que le lit était notoirement encombré au moment des faits litigieux" (C.E. 2 mars 1984, Synd. intercommunal de l’Huveaune et autres).

Les dispositions communes aux propriétaires riverains et aux associations syndicales. Afin d’encourager un entretien régulier des cours d’eau non domaniaux, la loi du 2 février 1995 a également prévu la mise en place de plans simples de gestion. Programmes pluriannuels d’entretien et de gestion, ils peuvent être soumis à l’agrément du représentant de l’Etat dans le département par tout propriétaire riverain d’un cours d’eau non domanial et toute association syndicale de propriétaires riverains.

Les effets de ces plans se manifestent essentiellement sur le plan financier : le bénéfice des aides de l’Etat et des ses établissements publics attachées au curage, à l’entretien et à la restauration des cours d’eau est accordé prioritairement aux propriétaires qui établissent un plan simple de gestion ou qui y souscrivent.

Le plan a ainsi pour objet de permettre à tous les propriétaires qui le souhaitent, quelle que soit la nature de la propriété, à titre individuel ou collectif, d’assurer leurs obligations dans les meilleures conditions.

Mais, de plus en plus fréquemment, on constate que les collectivités sont appelées à se substituer aux riverains défaillants.

La participation des collectivités publiques. Les associations syndicales ont l’avantage évident de faire participer tous les riverains directement intéressés aux travaux, et d’en déterminer les modalités au sein d’une structure de représentation adaptée, l’assemblée générale de l’association. Mais leur mise en oeuvre et leur fonctionnement sont lourds, dès que plusieurs centaines de propriétaires sont concernés. La transformation des mentalités, l’évolution du milieu rural font que ces structures bien perçues au siècle dernier sont aujourd’hui mal comprises.

Leurs moyens financiers sont très limités, et les travaux qu’elles peuvent ou veulent entreprendre restent d’une importance limitée.

La participation des collectivités aux travaux apparaît donc comme un recours de plus en plus fréquent.

L’article L. 151-36 du Code rural (ancien article 175) autorise les départements, les communes et les groupements de ces collectivités et syndicats mixtes à assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux de curage lorsqu’ils présentent pour eux un caractère d’intérêt général ou d’urgence.

L’étude, l’exécution et l’exploitation de ces travaux peuvent être concédés notamment à des sociétés d’économie mixte.

Procédure. Le caractère d’intérêt général ou d’urgence des travaux est reconnu après enquête publique portant sur le programme de travaux, le montant et les bases générales de la répartition des dépenses.

De la même façon, l’article 31 de la loi du 3 janvier 1992 (article 116 du Code rural) habilite les collectivités territoriales ou leurs groupements à entreprendre l’étude et l’exécution des travaux d’entretien et d’aménagement des cours d’eau non domaniaux.

Dans l’exécution des travaux, les collectivités publiques sont investies de tous les droits et servitudes reconnus aux associations syndicales.

Les servitudes facilitant les travaux de curage. L’évolution des méthodes de curage a conduit à instituer une servitude de libre passage des engins mécaniques sur les berges des cours d’eau non domaniaux par un décret du 7 janvier 1959.

Toutefois, par un arrêt du 22 mai 1996 (Min. Env. c/Mme Perrault), le Conseil d’Etat a considéré qu’une telle servitude ne pouvait résulter que de dispositions législatives et qu’ainsi le décret du 7 janvier 1959 avait excédé les limites de la compétence réglementaire. De ce fait, le Conseil d’Etat a confirmé l’illégalité d’un arrêté préfectoral qui prescrivait, en application de ce décret, l’établissement d’une servitude de passage pour les engins mécaniques.

Néanmoins, la loi du 2 février 1995 est venue instituer une servitude de libre passage pour les engins mécaniques strictement nécessaires à la réalisation de travaux qui doit s’exercer "autant que possible en suivant la rive du cours d’eau et en respectant les arbres et les plantations existants".

Cette servitude, fixée à l’article 119 du Code rural oblige les propriétaires, pendant la durée des travaux, à laisser passer sur leurs terrains les fonctionnaires et agents chargés de la surveillance, ainsi que les entrepreneurs et les ouvriers.

Les riverains sont également tenus de recevoir sur leurs terrains les produits de curage, mais ont en contrepartie le droit de les conserver.

Toutefois, si la composition des matières de curage apparaît incompatible avec la protection des sols et des eaux, notamment en ce qui concerne les métaux lourds et autres éléments toxiques qu’elles peuvent contenir, les riverains peuvent refuser de les recevoir (art. 115).

II.- Une remise en cause significative des droits de riveraineté dans leur exercice

Depuis longtemps, il existe des limitations administratives au droit d’usage. L’article 97, issu de la loi du 8 avril 1898, précise que le droit d’user de l’eau qui borde sa propriété doit s’exercer conformément "aux dispositions des règlements et des autorisations émanées de l’Administration".

S’agissant d’une chose commune, on pouvait la laisser à la libre disposition de tous, sous le contrôle de l’Administration. Le code civil a préféré accorder un droit préférentiel au riverain ; droit qui en réalité ne s’entend que comme un pouvoir enfermé dans d’étroites limites ; le code rural plus justement l’analyse comme une exception :

"Les riverains n’ont le droit d’user... que dans les limites déterminées par la loi".

Le même code a défini l’étendue des pouvoirs de police de l’administration. L’autorité administrative doit ainsi prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (art. 103).

La loi du 3 janvier 1992 va plus loin et enferme doublement l’exercice des droits de riveraineté par la mise en place d’une planification des usages (A) et la généralisation du système d’autorisation ou déclaration préalable (B).

A.- Planification des usages
Plusieurs projets de réforme du droit de l’eau, depuis la fin des années 80, ont insisté sur la nécessité de créer des schémas d’aménagement des eaux. L’idée qui dominait et qui domine encore tient en deux points : gérer au niveau d’un bassin ou d’un sous bassin, c’est à dire au plus près de la ressource elle-même et grâce à la planification, prévoir une politique à moyen et long terme d’aménagement et de gestion du patrimoine hydraulique.

Le législateur, fort de ces deux objectifs, s’est inspiré du droit de l’urbanisme et a, dans une certaine mesure calqué sur les SDAU et les POS, les SDAGE et les SAGE.

1.- SDAGE/SAGE - Généralités
Ce sont les schémas directeurs qui, pour chaque bassin ou groupement de bassins, fixent les orientations fondamentales de la gestion équilibrée de la ressource (art. 3). Les schémas, en prenant compte des programmes arrêtés par les collectivités publiques, définissent les objectifs de qualité et de quantité. Ce sont ces mêmes schémas qui délimitent les périmètres de sous-bassin correspondant à une unité hydrographique.

Les objectifs généraux, dans le cadre de l’unité hydrographique, sont fixés par le schéma d’aménagement des eaux (SAGE). Le périmètre d’intervention est délimité par le SDAGE. Toutefois, s’il n’y en a pas, le périmètre est arrêté par le préfet du département où des départements concernés par le sous-bassin, après consultation sur proposition des collectivités territoriales et après consultation du comité de bassin. Il appartient au SAGE de dresser l’état de la ressource, de faire le bilan du milieu aquatique et de relever les différents usages.

2.- Effets juridiques

Les programmes et les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau, doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions du schéma directeur et du SAGE, s’il existe. En revanche, les autres décisions administratives doivent simplement en prendre compte.

De la sorte, les dispositions du SDAGE -et plus encore celles contenues dans le SAGE- vont conditionner, dans une large mesure, l’octroi ou le refus de décisions individuelles intervenant dans le domaine de l’eau. Prenons ainsi l’exemple d’un refus d’autorisation de prélèvement d’eau dans un cours d’eau non domanial opposé par l’administration au propriétaire riverain par référence expresse à une orientation figurant dans le SDAGE ou SAGE.

Ces dispositions nouvelles appellent trois séries de remarques :

  • En premier lieu, on peut se demander si le législateur a su tirer les leçons attachées à l’utilisation de la notion de compatibilité et dont le droit de l’urbanisme offre de multiples exemples au contentieux. La notion de compatibilité est en effet à géométrie variable et par là même, sujette à de nombreux aléas. Par ailleurs, la notion de prise en compte est, dans bien des cas, fort insuffisante.
  • En second lieu, il semble que l’utilisateur à qui on oppose un refus de prélèvement ne soit pas totalement démuni. Il pourra, bien entendu, par voie d’action, contester cette décision de refus devant le tribunal administratif ; de même, il devrait pouvoir, par la voie de l’exception, contester le bien-fondé de la disposition du SDAGE ou du SAGE qui sert de motivation à la décision de refus.
  • En troisième et dernier lieu, la frontière entre les décisions prises dans le domaine de l’eau de celles qui en sont étrangères risque dans la pratique de s’avérer délicate, même si une circulaire du 15 octobre 1992 est venue dresser une liste des décisions considérées comme intervenant dans le domaine de l’eau ( A notre avis cette énumération, bien qu’exhaustive, n’est pas limitative et il appartiendra au juge administratif de définir avec plus de consistance ce qu’il faut entendre par l’expression "décision intervenant dans le domaine de l’eau").

B.- Extension des mesures de police

1.- Champ d’application

La loi du 3 janvier 1992 pose, dans son article 10, le principe général de l’autorisation ou de la déclaration de tous prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non.

Seule exclusion notable de cette procédure : l’usage domestique ou assimilé. Le décret 93-743 du 29 mars 1993 définit cet usage domestique comme "la satisfaction des besoins des personnes physiques propriétaires ou locataires des installations, et des personnes résidant sous leur toit, dans les limites des quantités d’eau nécessaires à l’alimentation humaine, aux soins d’hygiène, au lavage et aux productions végétales ou animales réservées à leur consommation familiale".

Est assimilé, en tout état de cause, à un usage domestique tout prélèvement inférieur ou égal à 40 m3 d’eau par jour (art. 3. du décret).

Hors cette hypothèse, tout prélèvement, rejet, travaux sur un cours d’eau non domanial est dorénavant soumis à déclaration ou à autorisation préalable par référence à la nomenclature fixée par le décret du 29 mars 1993.

On perçoit mieux les restrictions ainsi apportées aux droits de riveraineté, dés lors que tout usager riverain, bien que bénéficiant d’un droit d’usage préférentiel, ne pourra exercer ce droit sans être muni préalablement de l’autorisation requise ou du récépissé de déclaration, selon les cas.

2.- Retrait, suspension ou limitation provisoires de l’autorisation

*Même en étant muni d’un titre administratif régulier, il est possible à l’administration de retirer ou modifier le titre ainsi délivré, dans le cadre de ses pouvoirs de police et sans indemnisation dans les cas suivants (art. 10-IV) :

  • 1°- Dans l’intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque ce retrait ou cette modification est nécessaire à l’alimentation en eau potable des populations ;
  • 1. pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique ;
  • 2. en cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation ;
  • 3. lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l’objet d’un entretien régulier". *Surtout, afin d’assurer le respect du principe de gestion équilibrée de la ressource en eau, la loi du 3 janvier 1992 a doté l’administration de moyens juridiques nouveaux pour faire face aux effets de la sécheresse sur les milieux aquatiques. L’article 9 de cette loi dispose que l’autorité administrative peut :

"1° - Prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau, pour faire face à une menace ou aux conséquences d’accidents, de sécheresse (...) ou à un risque de pénurie ;
Le décret n° 92-1041 du 24 septembre 1992 a précisé les conditions d’exercice de ces prérogatives. Il faut retenir que les mesures prises dans ce cadre doivent être proportionnées au but recherché et qu’elles ne peuvent être prescrites que pour une période limitée, éventuellement renouvelable.

En application de ce principe, il a été déclaré illégal un arrêté préfectoral qui édictait des règles restreignant ou interdisant des prélèvements d’eau et qui fixait des horaires d’arrosage et d’irrigation sans comporter la mention de la durée d’application de telles mesures (C.E. 17 janvier 1996, Min. Env. C / Synd. de gestion des eaux et de l’env. du Gâtinais est, RDI 2/96, p. 185, RJE 3/96, p. 343 et note R. Romi).

Dès lors que les conditions d’écoulement ou d’approvisionnement en eau redeviennent normales, il est mis fin, s’il y a lieu, graduellement aux mesures prescrites.

Le préfet territorialement compétent peut désigner par arrêté une zone d’alerte dans laquelle il peut être prescrit des limitations ou suspensions provisoires de l’usage de l’eau, à charge d’en informer le préfet coordonnateur de bassin.

Si la création d’une zone d’alerte est une faculté, celle-ci semble s’imposer au préfet en présence d’une rivière menacée d’assèchement irréversible, à raison notamment du maintien de prélèvements agricoles (TA Orléans, 5 décembre 1995, Ass. de déf. du patrimoine aquifère et de sauvegarde écologique de Laconie, RJE 2/96, p. 133 et conclusions de F. Aubazit).

Dans cette zone, chaque déclarant, chaque titulaire d’une concession, ou d’une autorisation administrative de prélèvement, de stockage ou de déversement doit faire connaître au préfet ses besoins réels et ses besoins prioritaires pour la période couverte par les mesures envisagées.

L’usager riverain peut ainsi se voir opposer un "rationnement", une limitation quantitative de ses droits d’usage pour des motifs d’intérêt général.

Ces contraintes seront d’autant plus fortes si l’utilisateur est situé dans une zone dite de répartition des eaux, c’est à dire dans une zone présentant une insuffisance des ressources par rapport aux besoins.

Dans ces zones, il est institué un régime dérogatoire qui consiste en l’abaissement des seuils d’autorisation et de déclaration des prélèvements dans les eaux superficielles.

Le bassin Adour-Garonne est particulièrement concerné, dés lors que les progrès de l’irrigation sont très nets et que les surfaces irriguées sont passées de 270 000 ha à plus de 600 000 ha en 12 ans (ce bassin représente à lui seul 45 % des surfaces irriguées françaises). On constate ainsi un déficit chronique en eau à chaque période estivale.

Des contraintes existent pour assurer une meilleure gestion quantitative de la ressource hydraulique, mais aussi qualitative.

L’agriculteur riverain d’un cours d’eau peut ainsi se voir imposer certaines pratiques culturales, un plan d’épandage strict ou l’implantation de bandes enherbées le long des rives du cours d’eau non domanial (cf. circ. 27 nov. 1997).

De telles mesures se justifieront d’autant dans les zones dites vulnérables, c’est à dire des zones particulièrement affectées par les nitrates (une première délimitation de ces zones concernait 13 000 communes et environ la moitié de superficie agricole utile).

L’agriculteur, mais aussi l’industriel riverain du cours d’eau peut se voir imposer de nombreuses contraintes, essentiellement sur la qualité des rejets (réglé la plupart du temps sous la forme de prescriptions contenues dans l’arrêté d’autorisation pris sur le fondement de la législation sur les installations classées).

A noter que de telles mesures peuvent concerner les riverains du cours d’eau comme les non-riverains. La lutte contre la pollution des cours d’eau est l’affaire de tous (en particulier les communes qui doivent mettre en place un système performant d’épuration de leurs eaux usées. C’est un point qui fait l’objet de toute l’attention du législateur de 1992).

3.- Contentieux des mesures de police

Les décisions administratives prises en application de l’article 10 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans des conditions similaires à celles prévues par la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées (art.29 de la loi).

Il s’agit donc d’un contentieux de pleine juridiction (CE 31 juillet 1996, M. Gotti, D.A. 96, n° 434 ; et même jour, min. de l’environnement c/ Adam)et qui concerne les autorisations, déclarations, modifications, autorisations temporaires et retraits.

Cette qualification contentieuse a une incidence importante à la fois sur le délai de recours, et sur les pouvoirs dont dispose le juge administratif.

* délai de recours :

  • pour les bénéficiaires ou le demandeur, ce délai est de deux mois à compter de la notification qui leur a été adressée,
  • pour les tiers, publics ou privés de quatre ans à compter de la publication ou de l’affichage des actes, ce délai étant le cas échéant prolongé jusqu’à la fin d’une période de deux ans suivant la mise en activité de l’installation. * pouvoirs du juge :

Le juge administratif dispose en la matière de pouvoirs particulièrement étendus puisqu’il peut faire acte d’administrateur et prendre en conséquence toute mesure qui serait justifiée par les circonstances, par exemple édicter des prescriptions particulières, ordonner la suspension d’activité d’une usine électrique...

Conclusion

L’ eau n’est pas une ressource comme les autres. Pour reprendre le mot célèbre de Saint-Exupéry, "L’eau n’est pas nécessaire à la vie, elle est la vie".

Son usage ne peut dés lors rester incontrôlé ou être quasi-absolu comme certaines décisions juridictionnelles avaient pu le décider au siècle dernier.

Il faut aujourd’hui compter avec la nécessité de protéger non seulement la ressource hydraulique en tant que telle mais aussi l’écosystème aquatique qui en dépend étroitement, et ce dans le respect des équilibres naturels.

Il appartient désormais à l’administration, au premier chef, de veiller à la protection et au partage équilibré de la ressource en eau. Le dispositif réglementaire prévu par la loi sur l’eau est quant à lui quasiment achevé.

Il est encore trop tôt pour juger de l’action administrative en ce domaine. Seul un ou deux SAGE sont aujourd’hui mis en œuvre, de nombreux autres en préparation. On peut seulement se demander si en présence d’une loi cherchant à réglementer tous les usages - et ils sont nombreux - l’administration ne va pas être amenée - au moins dans un premier temps - à réglementer les seuls usages les plus polluants ou les plus grands consommateurs d’eau, délaissant les autres usages dont l’impact sur la ressource peut apparaître plus diffus mais néanmoins réel.

On notera également que les prélèvements dans les cours d’eau ou dans la nappe sont analysés en rapportant le débit prélevé au débit d’étiage, ce qui suscite de savants calculs qui échappent souvent au juriste mais qui devraient faire le bonheur des experts hydrauliciens.

Il est cependant évident que les services de police des eaux ont à charge d’élaborer une cartographie fixant par section de cours d’eau le débit de référence. Mais le nombre limité de stations hydrométriques ne permet pas d’espérer une précision excessive en particulier sur les petits cours d’eau, ce qui conduira sans doute à des interprétations diverses du régime applicable, source évidente de contestations.

S’il faut émettre un souhait pour conclure, prenons garde que la "guerre de l’eau" prédite à l’échelle planétaire ne débute à l’échelon national !

Plus encore que dans tout autre domaine, l’administration devra prendre des mesures "équilibrées", et faire en sorte que les atteintes portées aux droits de riveraineté ne soient pas disproportionnées par rapport aux objectifs recherchés.

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrage "L’eau : usages et gestion" ( J.- L. GAZZANIGA, X. LARROUY-CASTERA et J.- P. OURLIAC), LITEC 1998.
Revue Juridique de l’environnement 4/99 : Premier bilan jurisprudentiel de l’autorisation délivrée sur le fondement de l’article 10 de la loi sur l’eau, p.503 et s. (J. L GAZZANIGA et X. LARROUY-CASTERA).
Juris-classeurs Environnement (Fasc. 610) et Rural (Rubrique Eaux - 9 fascicules).