Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 8 février 2006
...Attendu, selon l’arrêt attaqué (Riom, 22 mai 2003), que la Fédération du Puy-de-Dôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique, reprochant à M. X..., aux droits duquel vient la société civile immobilière Le Batifort (la SCI), propriétaire d’une micro-centrale hydroélectrique située sur la rivière de la Couze de Chambon, d’avoir effectué des travaux ayant eu pour effet de rehausser le barrage, l’a assigné, après expertise, pour obtenir le paiement de dommages-intérêts et l’exécution des travaux préconisés par l’expert ;
Sur le premier moyen : Attendu que la SCI fait grief à l’arrêt de la condamner à exécuter les travaux relatifs à l’abaissement de la crête du barrage, alors, selon le moyen : 1 / qu’en vertu de la loi modifiée du 16 octobre 1919 sur l’utilisation de l’énergie hydro-électrique, les propriétaires d’usines fondées en titre, c’est-à-dire dont le titre d’origine est antérieur à l’abolition de la féodalité, ne sont pas tenus, pour disposer de l’énergie correspondant à la consistance légale de l’établissement, d’obtenir une concession ou une autorisation de l’Etat si cette consistance légale correspond au titre d’origine ;
que la détermination de la consistance légale doit se faire en fonction de la situation existante ou supposée à l’époque, mais par référence exclusive à la puissance ou énergie dont le bâtiment d’origine pouvait disposer de par les ouvrages alors existants ;
qu’en l’espèce, où la micro-centrale hydraulique Le Batifort résultait de la transformation d’un moulin à eau en activité avant le 4 août 1789, son propriétaire, la SCI, pouvait donc légalement se prévaloir d’un droit fondé en titre au cas où la situation au moins supposée à cette époque rendait possible l’obtention d’une même puissance ou énergie ;
que pour ce faire, si l’arrêt, à la suite de l’expert, a déclaré correctement qu’il fallait tenir compte des caractéristiques topographiques et altimétriques supposées existantes au 4 août 1789, encore fallait-il y inclure toutes les caractéristiques en les appliquant à l’établissement hydroélectrique ;
qu’il était donc essentiel de rechercher avec précision, comme le soulignaient les conclusions, la hauteur du barrage en fonction de la "hauteur de chute brute" qui seule permettait de déterminer "la puissance maximum brute (produit de la hauteur de chute brute et du débit maximum dérivé)", comme constituant le critère légal instauré en 1919 du statut applicable à une centrale hydraulique fondée en titre ;
que les conclusions faisaient ce calcul en fonction de données figurant au profil en long de la rivière de la Couze relevées par le service de nivellement général de France le 4 juin 1924, d’où se déduisait une hauteur de chute brute de 3,50 mètres, supérieure de 0,14 mètres à la hauteur de chute brute de 3,36 mètres relevée par le géomètre-expert Y... en octobre 1991 à la demande de l’expert judiciaire ;
que l’arrêt ne pouvait donc faire l’impasse sur cette donnée décisive d’un document faisant état de cette mensuration et auquel ne pouvait être opposé le document le plus ancien prétendu irréfutable, de l’état statistique de 1863 où ne figurait pas une telle mesure et où l’appréciation de la puissance en chevaux vapeur compte tenu de la puissance de cinq meules ne préjugeait pas que cette puissance ait été dépassée par les aménagements et transformations du moulin en petite fabrique au moyen de turbines plus économiques en énergies que les énormes meules anciennes du moulin d’avant la Révolution ;
que l’arrêt est donc vicié pour défaut de base légale au regard de la loi du 16 octobre 1919 modifiée, notamment en ses articles 2 et 29 ;
2 / que, comme le précisaient aussi les conclusions, il ressortait des dispositions des articles 1 à 4 du règlement d’eau type approuvé par le décret n° 81-376 du 5 avril 1981 pris en application de la loi du 16 octobre 1919 que ne pouvaient être prises en compte les données de l’état statistique des irrigations et usines dressé en 1863, d’autant que ce document avait pour seule finalité l’évaluation des droits des tiers dits "de droit d’eau" abrogés par la loi du finances du 31 décembre 1946 ;
que l’arrêt a donc violé ces textes légaux ;
3 / que l’arrêt ne pouvait valablement exclure les conséquences du rehaussement du barrage voisin de Beaugeix, autorisé par l’arrêté préfectoral du 9 mai 1906, sur le niveau des eaux à l’issue du bief de restitution du Moulin de Batifort au seul motif que ce rehaussement ne nuisait pas à la marche de l’usine supérieure, dans la mesure où, comme le rappelaient les conclusions, il y avait eu nécessairement un effet de remous d’au moins 0,77 mètre au point de restitution des eaux de Batifort calculé selon la formule des ingénieurs de la Seine, ce qui avait une incidence sur la hauteur de chute maximum brute du Moulin de Batifort ;
que l’arrêt est donc encore entaché d’un défaut de base légale au regard de l’article 2 de la loi du 16 octobre 1919 et de son décret d’application ;
Mais attendu qu’ayant constaté que l’expert s’était fondé sur la cote de restitution faisant partie du droit fondé en titre puis s’était référé à la hauteur de chute du moulin relevée par l’état statistique des usines sur cours d’eau de 1863, document le plus proche de 1789, et relevé que si la SCI récusait la méthode des états statistiques utilisée par l’expert, les caractéristiques du moulin étaient plus modestes que celles auxquelles aboutissaient ses calculs, les documents constitués par les relevés effectués sur place par les ingénieurs du service hydraulique des ponts et chaussées permettant de les reconstituer et de les confronter aux calculs hypothétiques de la SCI, la cour d’appel, qui a constaté que l’arrêté préfectoral du 9 mai 1906 précisait qu’il était possible de relever le niveau du barrage de l’usine de Beaugeix sans nuire à la marche de l’usine supérieure, a légalement justifié sa décision en déterminant souverainement la consistance légale de l’usine suivant les méthodes d’évaluation et les éléments d’appréciation qui lui sont apparus les plus appropriés ;
Sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé :
Attendu que la cour d’appel a souverainement relevé, sans être tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter, qu’il résultait des constatations de l’expert qu’à la date de son expertise le barrage ne comportait pas d’échancrure et que le technicien avait préconisé, indépendamment du système dont faisait état la SCI, la mise en place de grilles au niveau de la prise d’eau et de la restitution de la rivière ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : Vu l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner la SCI à aménager une échelle à poissons, l’arrêt retient, par motifs adoptés, qu’en l’absence d’arguments pertinents, il convient de faire droit aux conclusions de l’expert judiciaire et en conséquence d’ordonner les travaux prévus dans le but d’une mise en conformité ;
Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions d’appel de la SCI, qui soutenait qu’elle disposait d’un délai de cinq ans pour mettre ses ouvrages en conformité avec les dispositions de l’article L. 432-6 du Code de l’environnement, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et attendu qu’il n’a y a pas lieu de statuer sur le troisième moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la SCI à aménager une échelle à poissons dans l’échancrure, l’arrêt rendu le 22 mai 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;
Condamne la SCI Le Batifort aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Fédération du Puy-de-Dôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique et de la SCI Le Batifort ;
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