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Publié : 26 janvier 2013

Détournement d’eau dans un bief indivis (2003)

Cour d’appel LYON
civ6
Audience publique du 19 février 2003 (extraits)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame Colette X et Madame Suzy Y suite au décès de leurs parents sont propriétaires indivises d un tènement immobilier au lieu-dit "LES PERICHONS" à PONCINS (42). Par acte sous seing privé en date du 17juin 1958, elles ont effectué un partage de la propriété mais laissé en indivision une cour, une maison dite "DES GARDES" et un Béal sur toute sa longueur avec le terrain situé à sa naissance.

Madame X a reçu dans son lot une pièce d eau avec des bassins à poissons (nommée ci-après le bief, cadastrée B 363) dont l alimentation s effectue par le Béal.

Selon un constat en date des 28 avril et 10 mai 1997 établi par Maître GIANELLA, huissier de justice, les époux X ont fait constater dans le Béal à l entrée du bief, jouxtant les deux buses qui assurent la prise d eau alimentant le bief, la présence d une construction récente comportant une rainure de chaque côté semblant destinée à recevoir des planches aux fins de couper l alimentation en eau du bief pour la détourner dans un fossé d assainissement transformé en prise d eau.

Par acte du 5 septembre 1997, les époux X ont fait assigner les époux Y devant le Tribunal d Instance de MONTBRISON afin d obtenir la démolition de l ouvrage et la remise en état des lieux ...

Par conclusions postérieures, les époux X ont demandé la condamnation des époux Y à leur payer la somme de 1.250 F au titre de l abattage du bois sur la portion indivise du Béal, l enlèvement des fils d alimentation d une moto-pompe installée le long du Béal et que les francs bords soient laissés libres de toute installation.

Par jugement du 7 septembre 2000, le Tribunal d Instance a :

- débouté les époux X de l ensemble de leur demande ;

...

Les époux X ont relevé appel de cette décision,...

Ils expliquent qu à la suite du partage de 1958, ils se trouvent propriétaires de la parcelle 363 (bief) au sud du Béal et exploitent des bassins à poissons sur les parcelles 361 et 358 au nord de celui-ci, que l eau du Béal alimente tant le bief que les bassins à poissons. Ils avancent que Monsieur Y a construit des étangs pour lesquels il a voulu appréhender l eau du Béal et pour ce faire a ouvert un franc bord du Béal pour alimenter un fossé qu il a creusé de façon à drainer l eau au travers de ses propres parcelles (364, 374) en direction de ses étangs (345). Ils soutiennent que si le Béal est indivis, leurs bassins à poissons ne peuvent supporter de voir le régime des eaux les alimentant se trouver modifié. Ils reprochent ainsi à Monsieur Y la création d un ouvrage de maçonnerie entête de bief sur leur parcelle 363 et dans le Béal indivis qui permettait d envoyer l eau du Béal dans le fossé creusé et dont le projet CESAME (1996) indiquait qu il fallait l autorisation du co-indivisaire. Les époux ... demandent la démolition de l ouvrage en tête de bief et l obturation du fossé....

Les époux X demandent également le rétablissement de la hauteur des pelles à l entrée du bief à la hauteur de 62 cm en expliquant que par ordonnances de référés des 15 mars et 7juin 2000, confirmées par arrêt de la cour d appel du 1 1 décembre 2001, ils ont été condamnés à supprimer les cadenas bloquant les pelles et Monsieur Y autorisé à implanter des pelles de 75 cm alors que le rehaussement des pelles permet à ce dernier d appréhender la totalité des eaux du Béal pour la diriger dans le fossé qui dérive ainsi totalement le Béal et alimente ses étangs.

Ils font remarquer que Monsieur Y a, par ailleurs, pour prendre plus d eau dans le Lignon, rehaussé le barrage servant à alimenter le Béal et a provoqué sa rupture amenant le Béal à ne plus pouvoir appréhender d eau en quantité suffisante, ce qui ajouté aux empellages à 75 cm a asséché leurs bassins à poissons. Ils s estiment ainsi fondés à dénier toute obligation de règlement qui pourrait être faite par les époux Y au titre des travaux réalisés sur le barrage en 1999 et à solliciter le rétablissement du barrage.

...Ils sollicitent une somme de 20.000 F à titre de dommages et intérêts dans lesquels est incluse la perte de poissons à hauteur de 5.400 F représentant 300 kg de poissons du fait de l assèchement outre une somme de 10.000 F en application des dispositions de l article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et, à titre subsidiaire, demandent d ordonner un transport sur les lieux ou la désignation d un expert.

Monsieur Y réplique en rappelant que le Béal, placé sous le régime de l indivision par la convention du 17juin 1958, cadastré B 362 alimente le bief B 363. Il soutient que la création de l ouvrage litigieux se situe en ouest de la parcelle B 364 qui lui appartient, que les bassins à poissons, situés sur les parcelles B 361 et B 358 qui sont également sa propriété, ne sont alimentés que par le seul Béal, non par le bief, et sont en outre inexploités.

Concernant la demande de démolition de l ouvrage, Monsieur Y conteste tout creusement ou création d un fossé et invoque un rapport CESAME faisant état d une prise d eau dont l état nécessitait des travaux pour améliorer les possibilités d écoulement qui n ont pas apporté de modification au régime des eaux. Il précise que l objet de la maçonnerie et des planches non fixes est d assurer l indépendance du Béal, du bief et la de prise d eau. Il écarte la référence aux francs bords, notion qui ne concerne principalement que les usines hydrauliques pour lesquelles il fallait, en l absence de titre, assurer à l exploitant, par un mécanisme de présomptions, la maîtrise et l accès au canal d alimentation. Il souligne que le Béal est indivis par titre sur toute sa longueur ce qui exclut l application d un système de présomption.

...Monsieur Y fait valoir quant au grief de l absence d eau dans le bief et les bassins à poissons que les ordonnances de référé n ont fait que rétablir les lieux dans leur état antérieur et que le défaut d eau est directement dépendant de la détérioration du barrage sur le Lignon que les époux X refusent d entretenir et que ce grief est sans rapport avec le présent litige....

...

I - Sur la demande de démolition de l ouvrage en tête de bief :

Attendu qu il résulte de l acte de partage du 17 juin 1958 que la propriété "LES PERICHONS" a été divisée entre Madame X et Madame Y mais qu une partie a été laissée en indivision ;

Qu ainsi le Béal (parcelle B 362) est resté indivis alors qu il est contigu au Nord avec une parcelle B 361 et au Sud une parcelle 364 attribuées à Madame Y ; qu au Sud également un bief, parcelle B 363, qui est alimenté par le Béal et le longe vers l Est, a été attribué aux époux X ;

Attendu qu il est constant qu à la tête du bief au point d alimentation dans le Béal, Monsieur Y a construit un ouvrage en béton enserrant les deux tuyaux d alimentation dans une forme en "U" permettant par le jeu de glissières de placer des planches devant l orifice afin d arrêter la pénétration de l eau prise dans le Béal ;

Qu au même endroit, existent sur le Béal deux pelles qui ont pour objet de fermer ou de freiner l alimentation du Béal afin de diriger l eau sur le bief ;

Qu à côté de la construction qu il a établie, Monsieur Y a, selon les époux X, créé un fossé destiné à prendre l eau du Béal pour l amener par ce moyen en contournant par le sud la propriété à alimenter en eau les étangs qu il a construits sur une parcelle B 345 à l Est de la propriété ;

Que, ce faisant, les époux X estiment que le système créé par Monsieur Y doit être démoli en raison, d une part, du trouble qu il apporte à l alimentation de leur bief, Monsieur Y pouvant totalement maîtriser l eau du Béal à son seul profit, d autre part de l absence d autorisation des co-indivisaires ;

Attendu que tout co-indivisaire est en droit de faire cesser les actes accomplis par un autre indivisaire s ils ne respectent pas la destination de l immeuble ou portent atteinte à ses droits égaux et concurrents sur la chose indivise ;

Qu en l espèce, il résulte du constat dressé par Maître GIANELLA les 28 avril et 10mai la demande des époux X comme de celui établi le 7 octobre 1998 par Maître MOULIN à la demande de Monsieur Y que la construction en béton enserrant les deux tuyaux d alimentation du bief se situe dans le lit même du Béal qui est une parcelle indivise ;

Que cette construction liée à l utilisation des pelles existantes sur le Béal permet à l utilisateur de capter la quasi-totalité de l eau du Béal au détriment de l alimentation du bief et de la diriger sur le fossé litigieux ;

Que le trouble invoqué par les époux X apparaît ainsi bien réel et constitue une atteinte aux droits égaux des co-indivisaires ;

Que le jugement déféré doit, en conséquence, être réformé et la démolition de l ouvrage ordonnée

Attendu que les époux X demandent également l obstruction du fossé créé par Monsieur Y aux motifs d une part que cette création a porté atteinte aux francs bords du Béal qui est une partie indivise, d autre part a pour conséquence en captant l eau du Béal de ne plus alimenter le bief qui est utilisé pour amener l eau aux bassins à poissons situés sur les parcelles B 361 et B 358 plus à l Est ;

Que Monsieur Y soutient, pour sa part, que le fossé, qui existait déjà, est sur sa parcelle et que le Béal étant indivis par titre sur toute sa longueur, les prises d eau profitent de droit à tous les indivisaires ; qu il fait en outre remarquer que la notion de franc-bord concerne principalement les usines hydrauliques en l absence de titre ;

Qu il résulte du rapport CESAME, invoqué par les époux X et demandé par Monsieur Y afin d étudier l impact de la création d un plan d eau sur la parcelle B 345, que :

"Le plan d eau sera alimenté par un fossé principal qui reçoit essentiellement des eaux de drainage et de ruissellement mais qui est temporairement alimenté par une prise d eau sur le béal... qui traverse la propriété. En aval immédiat de la prise d eau, le fossé est partiellement comblé et les écoulements y sont quasiment nuls.

Ce bief muni de grille à l amont et à l aval est privé (indivision) Ce droit d eau est très ancien puisqu ilfigure sur la carte de CASSINI.

Monsieur Y devra obtenir l autorisation d un des indivisaires au nom de l indivision pour utiliser la prise d eau sur le bief" ;

Que ce rapport précise encore (page 10) qu en période d étiage, les écoulements naturels, très faibles voire nuls, ne permettront pas de compenser les pertes par évaporation et qu il est à craindre un assèchement partiel du plan d eau si la prise d eau latérale sur le Béal, qui permet d alimenter un des fossés, n est pas réaménagée ;
Qu il ressort du plan établi par le géomètre BOUNIARD que le fossé en question prend naissance au point d alimentation du bief sur le Béal et part vers le Sud perpendiculairement au Béal au travers de la parcelle B 364 attribuée à Monsieur Y ;

Que l expert PALIARD, consulté par les époux X, relève la création d une nouvelle prise d eau par modification d un ouvrage existant en tête de bief par jonction d un fossé d assainissement et le Béal ;

Attendu que le titre résultant de l acte de partage et déclarant indivis le Béal ne concerne que le lit de ce canal d alimentation en eau ; que celui-ci est complété par les francs-bords, les bermes, qui constituent le complément nécessaire du canal pour son entretien ;

Qu il résulte d une attestation du Maire de MONTVERDUN, commune voisine, que le Béal, dit "bief du moulin, propriété du domaine des PERICHONS" a une largeur constante de six mètres et que cette bande de terrain est la propriété exclusive du domaine des
PERICHONS ;

Qu il ressort également d une transaction passée le 23 avril 1955 entre son voisin et Monsieur A., auteur de Madame X. et de Madame Y, que cette notion de francs-bords a été retenue quant à l abattage de bois sur cette partie de terrain longeant le Béal ;

Attendu que si Monsieur Y a utilisé un fossé d assainissement déjà existant, il
a cependant créé une prise d eau qui n existait pas précédemment et ce faisant, compte tenu du
caractère indivis de la berme, a accru ses droits par rapport à ceux des co-indivisaires sans leur
accord ; que cette prise d eau toutefois ne porte préjudice aux époux X par rapport
à la situation antérieure que par l effet de la construction litigieuse qui annihile l alimentation
du bief ;

Qu ainsi la demande d obstruction du fossé sollicitée par les époux X ne peut prospérer puisqu antérieurement à la modification apportée par Monsieur Y, un fossé était implanté dans ce lieu en prise sur le Béal ; que seule la remise en l état antérieur est susceptible de rétablir leurs droits tels qu ils étaient ;

...

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

...

Réforme le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Dit que l ouvrage créé en tête de bief par Monsieur Y doit être démoli,

Dit que le fossé jouxtant la tête de bief et partant sur la parcelle B 364 doit être remis en son état d origine,

Dit que ces mesures doivent intervenir dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et, qu à défaut, elles pourront être exécutées par les époux X aux frais de Monsieur Y,